Une année olympique pour le PEPS : à la découverte de soi et des autres - SOS Villages d'Enfants

Une année olympique pour le PEPS : à la découverte de soi et des autres

 

Le sport est un levier de changement, de découverte de ses capacités, d’apprentissage de l’effort individuel et collectif… Alors que vont débuter les Jeux olympiques de Paris, nous vous proposons une immersion auprès de jeunes qui prennent part au programme d’épanouissement par le sport de SOS Villages d’Enfants. 

 

Ce lundi 4 mars 2024, en début d’après-midi, les neuf garçons et filles âgés de 12 à 14 ans ne se sont pas fait prier pour se jeter dans l’eau de la piscine L’Odyssée, à Chartres. Venus des villages d’enfants SOS de Jarville (Meurthe-et-Moselle), Marange-Silvange (Moselle) et Châteaudun (Eure-et-Loir), la plupart ne se connaissaient que depuis quelques heures. Mais entre deux éclaboussures, lancers de ballon et démonstrations du talent de l’un pour le crawl et de l’autre pour garder la tête sous l’eau, un début de complicité voyait déjà le jour. 

 

La veille, Lora, Luc, Éric, Jason, Nathan1 et les autres se sont retrouvés dans un gîte de Moutiers-en-Beauce, dans l’Eure-et-Loir, après quelques heures de voyage. Dans la salle commune de l’un des trois bâtiments de cette jolie longère, Moustapha Benherrat, responsable du programme d’épanouissement par le sport, leur a rappelé pourquoi ils étaient là. 

« Je suis très heureux de partager ma semaine avec vous, a-t-il commencé. Cette semaine, nous allons la construire ensemble, préparer nos activités, choisir nos menus, établir des règles de vie commune… Et pendant ces sept jours, nous, les adultes, qui vous encadrons, allons vous aider à surmonter vos difficultés, vous montrer que vous êtes capables de faire bien plus de choses que vous ne le pensez. Dans chaque village, seuls trois enfants peuvent participer à ce programme. C’est donc une réelle opportunité pour vous, mais cela veut aussi dire que pour l’association, il s’agit de montrer à chaque participant qu’il compte beaucoup. » 

 

Le programme d’épanouissement par le sport, ou PEPS, comme tout le monde l’appelle, est une initiative de SOS Villages d’Enfants, proposée à une cinquantaine d’enfants chaque année. Encadrés par une équipe de coordination dédiée, les enfants effectuent une semaine d’activités sportives ensemble trois fois par an. 

 

Le PEPS s’adresse aux garçons et aux filles manifestant des comportements qui les empêchent de bien grandir. « En les confrontant à la nature, à l’effort, à la persévérance, à la vie en collectivité, ces stages sont un « détour « qui leur permet de se voir autrement, de se construire, de faire évoluer leurs rapports aux autres. Dans le contexte habituel de la vie des jeunes dans le village, les adultes se focalisent souvent sur leurs difficultés. Au PEPS, nous nous appuyons sur ce qu’ils savent faire. Et certaines de ces capacités, qui s’expriment durant ces stages, ne s’étaient encore jamais manifestées sur leur lieu de vie », ajoute Moustapha Benherrat. 

 

PAS DE PANIQUE ! 

 

Au lendemain de son arrivée, le petit groupe d’enfants s’est donc retrouvé à la piscine de Chartres pour une première activité physique qui se voulait aussi ludique que sportive. Pendant ces quelques heures passées dans l’eau, les encadrants, Claire, Ilona, Marie, Célia, Cyril et Moustapha, leur ont demandé de réaliser de petits exercices. Sauter du bord du bassin et se laisser remonter à la surface, faire l’étoile de mer pendant cinq secondes, nager au moins une demi-longueur, aller chercher un objet au fond de l’eau… Oh, rien de bien compliqué pour la plupart des enfants, surtout présenté ainsi, sous forme de jeu. « Mais ce n’était pas qu’un jeu, sourit Moustapha. Car le lendemain, ils ont dû réaliser les mêmes exercices dans le cadre d’un « test antipanique ».  

 

Celui-ci leur était indispensable pour pouvoir prendre part aux activités d’initiation à la voile et à la plongée prévues les jours suivants. » Mais pour des enfants fragilisés par des carences éducatives ou des maltraitances, ou sujets à de nombreux psychotraumatismes, devoir commencer cette semaine par une évaluation au nom inquiétant aurait été une entrée en matière désastreuse. Sans le savoir et en jouant, ils se sont donc préparés à cette petite épreuve. Le lendemain, lorsqu’ils se sont retrouvés devant le maître-nageur, les exercices leur étaient familiers. Le « test antipanique » n’a paniqué personne ! « Cela peut paraître anecdotique, mais c’est emblématique de notre approche, commente le responsable du PEPS. Rassurer, accompagner, trouver les manières de leur montrer ce dont ils sont capables, et ainsi les faire gagner en confiance en eux, c’est tout l’enjeu du programme. » 

 

DES RITUELS QUI AIDENT 

 

Au moins autant que les activités sportives elles-mêmes, la vie en communauté et son intendance (faire les courses, le ménage, la lessive, préparer à manger, organiser les veillées…) constituent des leviers de changement. Dans ce domaine également, «  l’important, c’est de participer ! ». Et pour que ce quotidien se passe aussi bien que possible, les encadrants ont leurs astuces. D’abord, les groupes qui sont chargés de ces « corvées » sont composés au hasard. Plus exactement, lors d’une partie de Loups-garous de Thiercelieux, un jeu de société apprécié des enfants. « Cela évite que des copains du même village se choisissent mutuellement et donne une dimension ludique à ces contraintes. Ce n’est ni Pierre, Paul ou Jacques qui doivent passer le balai, mais le groupe des « Loups », pendant que ceux des « Voyants » et des « Chasseurs » sont, eux, chargés du repas ou des courses », explique Cyril Delpech, aide familial au village d’enfants de Châteaudun et encadrant de ce PEPS. 

 

Il y a aussi les « rituels » qui rythment chaque journée. Des journées qui commencent tôt pour celles et ceux qui le souhaitent. Chaque matin, les enfants peuvent en effet quitter leur chambre à 7 h 30 pour un « réveil musculaire ». « La plupart du temps, il s’agit d’aller faire un footing de cinq kilomètres, souligne Moustapha Benherrat. C’est un temps de préparation physique, mais aussi mentale, qui permet à chaque participant de réfléchir à ce qui l’attend dans la journée, à son comportement, à ses rapports aux autres… » 

 

Après la douche et le petit déjeuner, vient le moment de la « météo des émotions ». Chaque matin – et chaque soir –, les enfants se regroupent en cercle et chacun exprime alors ses sentiments, ses fiertés, ses peurs, ses colères, ses regrets… Des prises de paroles qui ne sont jamais commentées par les autres et encore moins critiquées. « C’est un exercice très pédagogique, commente Cyril Delpech. On sait que mettre des mots sur ses émotions n’est pas simple, encore moins en public. S’exprimer ainsi, c’est aussi apprendre à se connaître soi-même. » 

 

SE JETER À L’EAU 

 

Des émotions qui sont aussi souvent vives pendant les activités sportives, comme ce jeudi 7 mars, jour du baptême de plongée. En cette fin d’après-midi, les enfants et leurs encadrants étaient particulièrement concentrés. Décompression, bouteille, détendeur, masque, palmes… les mots fusaient, tout comme les consignes de sécurité, de la bouche de l’un des moniteurs de l’association à l’initiative du stage de plongée. Touchés par la cause des enfants, sept de ses plongeurs ont offert deux heures de leur temps pour initier les enfants des villages à leur passion pour les profondeurs aquatiques. 

 

« Allez, tous à l’eau, maintenant ! », ont lancé les moniteurs une fois le brief achevé. Les enfants ont donc enfilé leur gilet, mis l’embout dans la bouche, plongé la tête sous l’eau… À la fin de la séance, tous sont parvenus à s’asseoir au fond de la piscine et, en regardant leurs copains, étaient fiers de pincer leur pouce sur leur index, signe universel pour dire que « tout va bien ». «  Plonger les confronte à un élément qui peut être anxiogène et les oblige surtout à faire confiance à un adulte qu’ils n’ont jamais vu de leur vie, analyse Moustapha Benherrat. Pour eux, qui ont bien des raisons de se méfier des « grands », réussir ce baptême est une immense victoire. » 

 

Cette activité était très complémentaire à l’initiation à la voile qu’ils avaient eue la veille. Ce jour-là, sur le plan d’eau du cercle nautique de la Beauce, les enfants, par trois sur de petits catamarans, ont cette fois dû composer avec les autres. « Au début, nous avons entendu pas mal de noms d’oiseau siffler, sourit le responsable du PEPS. Les enfants n’étaient pas d’accord entre eux sur les manœuvres à effectuer et les bateaux n’avançaient pas bien. » Mais ils savaient que la voile ne se gonflerait que s’ils parvenaient à se coordonner. Alors, ils ont géré leur frustration, accepté de tester la technique préconisée par un autre, trouvé ensemble la solution… 

« Ces enfants vivent dans le cadre du village, parfois depuis leur plus jeune âge, analyse Moustapha Benherrat. Ils ont en permanence auprès d’eux des adultes qui évaluent leur situation et leurs besoins, les protègent, et ils doivent par ailleurs gérer beaucoup de contraintes liées à leur accueil dans un village SOS. C’est pour leur bien, évidemment, mais ils sont guidés et encadrés tout le temps. Cette fois, c’était à eux de décider et de mener leur barque en quelque sorte. » 

 

Travailler son estime de soi passe aussi par des choses plus simples. Un jour, l’équipe d’encadrants a reçu des caisses remplies de matériel d’équitation destiné au stage du groupe prévu en avril. Il fallait en faire l’inventaire et le trier pour confectionner des « kits » individuels. Problème, les adultes n’y connaissaient rien. Ils ont donc demandé à Justine, 12 ans, un coup de main qui s’est révélé prodigieux. Jusqu’alors très réservée, la jeune fille, qui pratique l’équitation depuis ses 4 ans, s’est transformée en leader de l’activité. « Là, ce sont des chaps qui s’enfilent sur le tibia. Il en faut deux par personne, explique-t-elle à ses copains. Ici, le cure-pied. Il en faut un par sac, comme l’étrille, l’éponge… » « Et ces lanières, à quoi servent-elles ? », demande l’un d’eux. « C’est le licol, le harnais qui va sur la tête. Il ne faut surtout pas l’oublier. » La jeune fille, qui jusqu’alors s’était montrée très effacée, avait perdu toute timidité et prenait conscience de sa capacité à partager ses compétences. 

 

DEVENIR ADULTE 

 

Les difficultés se révèlent aussi dans des contextes plus inattendus. Le vendredi 8 mars, dans l’après-midi, alors que ses copains ne cachaient pas leur impatience de commencer un escape game2 aux Clayes-sous-Bois (Yvelines), Gaëlle, une jeune fille de 12 ans du village de Jarville, se tenait en retrait, assise dans un recoin, mutique. À l’incitation de Moustapha Benherrat, les enfants sont allés la voir pour l’inviter à rejoindre l’un des groupes en cours de constitution avant de se lancer dans des chasses au trésor. En vain. Si Gaëlle refusait de pénétrer dans les salles du jeu, c’était par peur d’être enfermée dans le noir. Finalement, au bras d’une éducatrice, elle a pris part à l’aventure… et constaté que les salles étaient toutes éclairées. « Nous ne connaissons pas son passé ni ce qui explique cette peur du noir, analyse Moustapha Benherrat. Mais nous avons trouvé un moyen de la lui faire dépasser. Notre espoir, c’est que dans d’autres circonstances, face à d’autres épreuves, elle saura se souvenir qu’elle est capable de surmonter ses craintes. » 

 

En sortant de l’escape game, Gaëlle a d’ailleurs évoqué son impatience à faire la deuxième semaine de stage, même si, selon elle, « ce sera un peu plus compliqué, car j’ai peur des chevaux… Mais j’ai malgré tout hâte d’y être ! Au PEPS, on fait du sport, on vit ensemble, on s’amuse, et je crois que je suis plus forte qu’avant de venir. En fait, au PEPS on apprend à devenir adulte ».  

 

————

Le PSPEPS : un PEPS en duo 

 

Le programme spécifique PEPS (PSPEPS) est une alternative proposée aux enfants en grande souffrance psychologique, à celles et ceux qui sont le plus en conflit avec les adultes, l’école, les règles de vie sociale… Le principe est de les emmener en « marche thérapeutique », en tête-à-tête avec Moustapha Benherrat et, dans les années à venir, d’autres éducateurs formés. La fréquence et la durée de ces randonnées s’adaptent au cas par cas, mais il en faut souvent plusieurs et pendant plusieurs jours pour qu’un début de bascule s’opère. « Nous partons d’abord quelques heures, puis un week-end, voire quelques jours, pour marcher et parler, avec juste nos tentes et deux sacs à dos », indique le responsable. Des sacs à dos qui jouent un rôle important, puisqu’en début de randonnée, celui de l’enfant est assez chargé en équipement. « J’explique au jeune que ce sac représente sa vie actuelle, avec tous les éléments qui l’empêchent de bien avancer, raconte l’éducateur. Et je l’informe que chaque fois qu’on trouvera une solution à l’une de ses difficultés, je déplacerai un objet de son sac vers le mien. » Moustapha se souvient avoir emmené une jeune de 14 ans, aux fréquentes pensées suicidaires. Dans son mal-être, elle avait toutefois accepté ce PSPEPS, consciente que c’était une chance de sortir d’une spirale infernale. « Le premier jour, elle n’a pas voulu m’adresser le moindre mot, confie l’éducateur. Je lui avais dit de marcher devant moi et de venir à ma hauteur lorsqu’elle aurait envie de parler. » Après cette première journée, suivirent un week-end, puis un périple de 80 kilomètres sur six jours, avec toujours plus de mots échangés. « Aujourd’hui, elle n’évoque plus le suicide, elle reste fragile, mais… elle avance. »