Article - SOS Villages d'Enfants

ARPEJ – fiches de bonnes pratiques

« De l’attention, de la bienveillance, de l’humanité »

 

 

 

Orphelin à 13 ans, Nathan a trouvé au village d’enfants SOS le cocon qui lui a permis  de s’épanouir. 

 

« C’était un soir de l’été 2019 », se souvient Nathan. Ses petites sœurs, qui n’avaient pas encore 9 ans, et lui, leur grand frère de presque 14 ans, étaient arrivés peu de temps avant au village d’enfants SOS. « Mes sœurs avaient un gros coup de blues, raconte le jeune homme. La directrice du village l’avait appris. Elle avait sonné chez nous et nous avait invités à la rejoindre. » 

 

Un peu étonnés, les enfants avaient alors embarqué à ses côtés pour quelques petits kilomètres en voiture. La directrice avait garé son véhicule à l’orée d’un champ. « Nous sommes sortis et avons regardé les étoiles briller… tout simplement, poursuit Nathan. Nous avons discuté, bien sûr, mais c’est surtout la magie du moment que j’ai gardée en tête. Bien plus que ce que je pourrais raconter de mon quotidien, c’est, pour moi, ce qui caractérise le mieux SOS Villages d’Enfants. Les éducatrices familiales (nos mères SOS), les encadrants, la psychologue… tous ces gens-là font, bien entendu, leur travail, leur métier. Mais ils ne font pas que ça. Ils sont vraiment là pour nous. Ils créent des liens sincères, remplis d’attention, de bienveillance, d’humanité. » 

 

« VOILA, ICI, C’EST CHEZ VOUS » 

 

Nathan et ses sœurs se sont retrouvés orphelins après le décès de leurs parents, disparus tous deux d’un cancer à quelques années d’intervalle. Les enfants ont d’abord vécu en famille d’accueil, auprès d’une personne « très nocive », précise Nathan, avant de partir rejoindre un foyer stable et protecteur chez SOS Villages d’Enfants. « On nous a dit : « Voilà, ici, c’est chez vous. Voici vos chambres. » Pour mes sœurs et moi, c’était un vrai soulagement. » Nathan assure que tous les trois ont très bien vécu cette arrivée dans un cadre de vie tout neuf, puisque le village venait d’ouvrir ses portes. Il reconnaît cependant qu’il était alors un enfant très renfermé sur lui-même. Marqué par la perte de ses parents, il avait beaucoup manqué l’école les deux années précédentes. Ayant peu de relations sociales ou amicales, il se réfugiait dans ses jeux vidéo. Les trois enfants ont toujours gardé des liens affectifs avec les membres de leur famille et ce n’est pas tant l’affection qui manquait à Nathan. « À cette époque-là, j’avais surtout besoin d’écoute, de repères, de quelqu’un qui soit le plus présent possible pour moi et joignable quand il s’absentait. J’ai eu tout cela au village. » Ils l’ont trouvé auprès de Jeanne*, leur mère SOS. 

 

Âgé aujourd’hui de 18 ans, Nathan est un jeune homme d’une grande maturité. Étudiant en prépa littéraire à Bordeaux, il ne sait pas encore avec certitude vers quelle profession il se dirigera. « Enseignant, chercheur, journaliste… ? J’aime apprendre, et faire une prépa me laisse le temps de peaufiner mon orientation. » Ainsi, malgré les mois d’école manqués, Nathan a vite rattrapé son retard et sa scolarité a été facile. « Dès la fin de la troisième et pendant toutes mes années « lycée », j’adorais aller en cours et je me suis fait des amis incroyables. » Fils de professeurs, dans une famille où tout le monde a fait de longues études, il dit « baigner dans cet univers-là » depuis toujours. Jeanne, elle-même ancienne enseignante, l’a encouragé dans la voie des études supérieures. « J’ai beaucoup de plaisir à échanger avec elle sur des sujets d’actualité, de confronter nos points de vue… pas toujours similaires, précise-t-il avec le sourire. Je lui dois une part de ma curiosité, mais elle m’a surtout poussé à être moi-même, sans chercher la validation de mes choix dans le regard des autres. » 

 

FAIRE FAMILLE

 

Nathan a désormais son propre appartement étudiant, mais a gardé sa chambre au village, où il passe des week-ends et ses vacances. « Je m’y sens plus chez moi que dans mon logement du Crous. » Ses liens avec le village SOS restent forts. D’ailleurs, pendant les congés d’octobre dernier se déroulait le VESOS CIDE (voir l’Actu page 2), une journée d’activités et de compétitions sportives organisée chaque année au sein des villages SOS afin de célébrer la journée internationale des droits de l’enfant. Nathan y a pris part, non plus comme participant cette fois, mais en tant qu’encadrant. « C’était une sorte de jeu de piste qui amenait les enfants d’une activité à une autre. J’étais chargé de l’atelier « danse » où nous leur proposions de s’essayer au Madison. Cela a été un super moment. » 

 

S’il n’a jamais vu sa mère SOS comme une maman de « substitution », il la considère néanmoins comme quelqu’un de sa famille. « Je connais son ex-mari, certains de ses enfants, elle m’a invité chez elle, une maison en ville dont elle m’a déjà laissé les clefs lorsque j’ai eu besoin d’un endroit où me poser avec des amis. Et depuis que j’ai le permis, Jeanne me prête parfois sa voiture… » Nathan n’exclut pas d’avoir un jour des enfants et sait que cela serait une joie pour Jeanne. « Elle deviendrait alors une sorte de grand-mère de cœur. Je crois qu’elle serait fière », prédit le jeune homme.  

 

*Par souci de confidentialité, certains prénoms ont été changés 

 

Les droits de l’enfant : une boussole au cœur des crises

 

Séismes, conflits armés, sécheresse, terrorisme… de nombreux pays connaissent des crises majeures dont les conséquences peuvent être dévastatrices pour les enfants qui en sont victimes : exploitation, violences, déscolarisation… Afin de répondre à cette dure réalité, les interventions de SOS Villages d’Enfants se distinguent par leur approche globale centrée sur les droits de l’enfant. 

 

« Tu as le droit d’avoir un nom, une nationalité et une identité. Tu as le droit d’être protégé de la violence, de l’exploitation ou des discriminations. Tu as le droit d’être soigné, d’aller à l’école, celui de jouer ; le droit de t’exprimer, d’être écouté. Et tu as le droit d’avoir une famille, d’être entouré et aimé. » Voilà ce que dit, en substance, la Convention internationale des droits de l’enfant à chaque enfant de cette planète. Un texte important, aujourd’hui ratifié par 197 États, qui met en avant quatre principes fondamentaux : le droit de vivre, la non-discrimination, l’intérêt supérieur de l’enfant et le respect des opinions des mineurs. Des évidences, penserez-vous ? L’application de ces droits ne va pourtant pas toujours de soi, particulièrement dans les pays en crise. Conflits territoriaux, tremblements de terre, terrorisme, sécheresse, effondrement économique… autant d’événements dramatiques, ponctuels ou durables, dont les enfants sont les premières victimes. 

 

« Ce qu’on appelle l’approche par les droits de l’enfant est la boussole de l’intervention de SOS Villages d’Enfants partout dans le monde, explique Leslie Goldlust, directrice des programmes internationaux de l’association. Concrètement, cela signifie qu’en cas de crise humanitaire, sociale, armée, que l’on soit dans le cadre de l’urgence, du développement ou de la reconstruction, les droits des enfants restent les mêmes et ne peuvent leur être ôtés. » Or, en temps de crise, les enfants restent les plus vulnérables et les interventions humanitaires visent principalement à répondre rapidement aux besoins les plus urgents des populations affectées (soins, aide alimentaire, abris…). Il n’est bien sûr pas question d’opposer les uns aux autres, « mais il faut répondre aux besoins fondamentaux des enfants, en gardant en tête cette approche par les droits », précise Florine Pruchon, responsable du Pôle plaidoyer chez SOS Villages d’Enfants. 

 

C’est pour cela que l’association allie au quotidien l’action de terrain et la contribution au débat public grâce au plaidoyer. Derrière le terme « plaidoyer » se cachent toutes les manières de défendre la cause des enfants et des jeunes accueillis en protection de l’enfance, en France et dans le monde. Cela regroupe l’ensemble des actions de sensibilisation, les études, les rapports d’expertise, les recommandations… que mène et formule l’association en direction des décideurs politiques et du grand public. L’objectif est de peser sur les décisions en matière de protection des enfants, car « personne ne s’oppose frontalement aux droits des enfants, mais ce n’est pas non plus « la » priorité des décideurs. C’est grâce au travail de plaidoyer que le secteur associatif mène depuis de nombreuses années que la question est de plus en plus intégrée dans les textes de loi », complète Florine Pruchon. 

 

 

TERRAINS D’EXPERTISE 

 

L’engagement de SOS Villages d’Enfants se concrétise sur le terrain à travers différents programmes d’accompagnement conçus pour répondre, dans la durée, aux situations de crise. Présente dans 137 pays et territoires dans le monde, SOS Villages d’Enfants est concernée par la plupart de celles qui touchent la planète. L’association française apporte plus spécifiquement son aide (à la fois financière et de suivi/évaluation de ces programmes) à une dizaine de pays, principalement situés en Afrique de l’Ouest, mais également en Haïti, en Arménie et à Madagascar. 

 

« Dans un pays comme le nôtre, le premier et le plus important des droits des enfants à assurer, c’est celui de survivre. Ensuite, il nous faut préserver les enfants d’être mis au travail, leur permettre de se soigner, d’aller à l’école… Mais tous ces droits sont intimement liés les uns aux autres », souligne Bouzoue Bazongo, coordinateur de la prise en charge alternative à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, l’instabilité sociopolitique est intense depuis 2015. Les coups d’État se sont multipliés et les actions terroristes de djihadistes sont régulières, particulièrement dans la région du Sahel. « Ce contexte sécuritaire nous a conduits à créer une Maison d’accueil d’urgence en avril 2022, poursuit Bouzoue Bazongo. Elle peut accueillir simultanément jusqu’à huit enfants abandonnés, victimes de traite, dont on a perdu la trace des parents, ou encore des fugueurs… Leurs profils sont donc différents de ceux habituellement accueillis au village SOS. » Une éducatrice familiale, un psychologue, une assistante sociale et un éducateur travaillent ensemble au sein de cette maison. Ils sont en lien avec les autorités locales, le juge des enfants et la gendarmerie, pour trouver, ensemble et en six mois, une solution d’hébergement pérenne pour chacun. Dans le meilleur des cas, les parents ou des membres de leur famille sont retrouvés. « Mais lorsqu’il s’agit de parents éloignés, ceux-ci voient souvent ces enfants comme des bouches de plus à nourrir, regrette Bouzoue Bazongo. Notre rôle est alors de les orienter vers les structures d’État qui peuvent les aider, mais aussi de les former à la responsabilité parentale et de les aider à développer des activités génératrices de nouveaux revenus. » 

 

Permettre aux familles d’avoir une autonomie financière, c’est aussi l’un des buts du programme ARPEJ, cofinancé par l’Agence française de développement. ARPEJ, Approche régionale pour la protection de l’enfance et de la jeunesse, a été lancé en 2021 en Côte d’Ivoire, au Togo et au Burkina Faso. « Ce programme cible les zones où se trouvent les familles les plus vulnérables, notamment des mères isolées, au pouvoir d’achat très faible. Quelque 70 familles, soit plus de 300 enfants, bénéficient d’ARPEJ chez nous », détaille Mariette Kanguembega, coordinatrice du programme à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. 

 

Bon nombre de ces familles très pauvres hébergent des proches – parfois même des inconnus – qui ont fui les zones où se multiplient les attaques terroristes. C’est le cas d’Alizetta, 60 ans, qui vit avec ses sept enfants et petits-enfants dans une maisonnette de tôle. Il y a plus d’un an, elle a accueilli sa fille et ses trois enfants déplacés. « ARPEJ a développé un soutien d’urgence pour répondre à ce type de situations, ajoute Mariette Kanguembega. Nous avons pu apporter à Alizetta un appui en vivres (riz, maïs, haricots…) et avons prévenu les services de l’État, qui l’ont aussi aidée à nourrir sa famille. Mais nous l’avons surtout accompagnée pour qu’elle lance un élevage de moutons. Nous lui avons donné son premier couple de chèvres, de l’alimentation animale, des abreuvoirs, des mangeoires… Des petits sont déjà nés et, à terme, la famille sera autonome. » 

 

Une étape essentielle pour que les enfants ne soient pas contraints de travailler est qu’ils reprennent le chemin de l’école. C’est dans ce même objectif que SOS Villages d’Enfants Burkina Faso paye les frais de scolarité et les fournitures scolaires de près de 200 d’entre eux. « J’ai retrouvé ma fierté, lance Germaine, 15 ans. Je risquais de ne pas passer mon BEPC et je voyais mes camarades poursuivre leurs études sans moi… J’ai été grandement soulagée et cela m’a beaucoup encouragée à bien travailler en classe. » Germaine est la fille de Tassembedo. Épouse d’un mari non voyant et maman de deux enfants qui avaient été renvoyés de l’école pour défaut de paiement, Tassembedo est, elle aussi, épaulée dans le cadre d’ARPEJ. SOS Villages d’Enfants lui a fourni une charrette, une table d’exposition, des bâches d’étalage et 250 kg de maïs. Grâce à ce petit équipement, la maman vit désormais de la vente de farine et de couscous de maïs. Sans ce soutien, ses enfants seraient dehors, à travailler. Mariette et Bouzoue le disent d’une même voix : « Si les enfants sont vus comme des sources de revenus pour la famille, ce n’est pas que les parents n’ont pas conscience de leurs droits, c’est qu’ils pensent n’avoir pas d’autre choix. » 

 

 

LE PARTAGE : UN OUTIL POUR DÉFENDRE LES DROITS 

 

Tout comme au Burkina Faso, le village d’enfants de Mopti, au Mali, doit faire face à des risques sécuritaires liés aux attaques djihadistes. « Situé au centre du Mali, notre village est au cœur des zones de tension, explique Badou B. Touré, éducateur chargé des activités socioéducatives de ce village d’enfants. Nous devons empêcher les intrusions dans notre enceinte, mais aussi faire en sorte que les enfants ressentent le moins possible ces menaces. Et, en restant le plus souvent possible à leurs côtés, nos mères SOS jouent un rôle crucial. » 

 

Le village est clos et la direction a recruté des gardiens supplémentaires pour contrôler les allées et venues. Contrôler, mais ne pas interdire. « Notre village reste ouvert aux communautés des alentours, poursuit l’éducateur. Nous avons de l’eau que nous partageons. De même, notre infirmerie est ouverte à tous, comme nos installations sportives, nos espaces de jeux, notre salle de fête… Nous mettons à disposition nos infrastructures pour que les enfants soient intégrés à la communauté. Mais, dans le même temps, nous devons nous protéger des mauvaises intentions. » Malgré ce contexte tendu, les équipes gardent comme fil rouge de leur travail les droits des enfants. Les villages comptent tous un coordinateur chargé de la politique de sauvegarde de l’enfant , « et, précise l’éducateur, chaque semaine, les membres de l’équipe de notre village se réunissent pour voir s’il y a eu des entorses aux droits des enfants chez nous, mais aussi dehors. Car nous œuvrons pour que ces principes infusent hors de nos murs. Par exemple, si nous apprenons qu’un commerçant chez qui nous achetons du pain est violent avec les enfants, nous allons discuter avec lui, mais s’il ne change pas d’attitude, nous cessons d’en faire notre fournisseur. » 

 

Badou B. Touré insiste aussi sur l’attention des équipes à écouter et à tenir compte de la parole des enfants. « Chaque année, illustre-t-il, nous participons à une compétition de foot entre communautés. Les matchs se jouent traditionnellement chez nous parce que nous avons les meilleures installations. Mais, cette année, nos jeunes nous ont demandé que certains matchs soient joués hors du village SOS. C’était pour eux une façon de ne pas passer pour des joueurs avantagés. Nous n’y avions pas pensé et les avons écoutés, bien qu’organiser des déplacements soit beaucoup plus compliqué. Mais cela leur a porté bonheur, puisqu’ils ont remporté le trophée ! » 

 

 

DONNER UN FUTUR À L’AVENIR 

 

« Miayotse Tymarefo » est une locution malgache que l’on peut traduire par « aider les plus fragiles à sortir la tête hors de l’eau ». Elle a donné son nom au programme MITYMA, mis en place à Madagascar en 2022 avec l’appui de l’AFD. « Les discriminations que subissent les enfants, les violences ou encore leur exploitation sont souvent liées à la vulnérabilité économique des familles [ndlr : exacerbée par le changement climatique, notamment les sécheresses à répétition] », constate Michael Masimbola, l’un des responsables de la mise en œuvre du programme pour la région d’Androy. MITYMA s’appuie sur plusieurs leviers : accès à la santé, aide à la création d’activités économiques, formation des parents… S’y ajoute un gros travail visant à améliorer la perception des droits de l’enfant dans les cultures locales. « Lorsqu’on manque d’eau, de nourriture, d’un toit… on ne pense pas spontanément à ces droits, ajoute Michael Masimbola. C’est pourquoi nous signons des conventions avec les représentants des communautés locales que nous formons à ces questions. Les communautés s’engagent alors à mieux détecter les cas de violence, à tout faire pour les éradiquer, à éviter les mariages précoces, à écouter les enfants… Nous sensibilisons les notables, les responsables religieux, des élus locaux… bref, tous celles et ceux qui sont écoutés par la population. Cela constitue, au final, ce que nous nommons une « protection communautaire », grâce à laquelle les droits des enfants deviennent peu à peu des normes communautaires. » 

 

À Haïti aussi, les équipes de SOS Villages d’Enfants s’appuient sur les communautés locales pour faire face aux nombreuses crises, notamment environnementales, que connaît ce pays. Cette petite république est si régulièrement secouée par des tremblements de terre que SOS Villages d’Enfants a même mis en place des formations aux gestes de sécurité à adopter lors des secousses. L’association répond évidemment présente pour mettre à l’abri les familles privées de logement, de nourriture ou de soins après les séismes. 

 

Face à une profonde et violente crise socioéconomique, ainsi qu’à l’insécurité liée aux gangs, les équipes locales savent mieux que personne combien la défense des droits des enfants passe par l’attention portée aux parents. Également en lien avec l’AFD, le programme DEPARE (Droits de l’enfant via une parentalité responsable) est mis en œuvre dans six quartiers de Cap-Haïtien, la deuxième ville du pays, dans le but de renforcer les capacités économiques et éducatives des parents. « Nous accueillons les enfants dans des centres de jour où ils peuvent jouer, apprendre, avoir deux repas chaque jour et, pendant ce temps-là, leurs parents peuvent se former à la cosmétique, l’électricité, la plomberie, la cuisine… », explique Phara Olivier, la responsable Projets pour DEPARE. L’association se distingue aussi par ses actions en direction des pères, qu’elle sensibilise à l’éducation positive, non violente, et à la prévention des abandons. 

 

Recia Joseph a la charge de trois enfants, dont deux d’une amie ayant quitté le pays « en raison de ses difficultés économiques », déplore Phara. Son époux a participé à une formation sur « la paternité active et consciente ». « Avant, je n’avais pas d’autre soutien de mon mari qu’un apport financier, raconte la maman. Mais, après ces formations, j’ai remarqué des changements chez lui. Un dimanche matin, à mon retour de l’église, il avait nettoyé toute la maison, ainsi que notre cour. Un autre jour, j’avais prévu de laver beaucoup de vêtements et, à mon réveil, j’ai trouvé une grande quantité d’eau qu’il était allé chercher pour moi [ndlr : à Haïti, il n’est pas rare de parcourir plusieurs kilomètres pour accéder à un point d’eau]. Et puis, maintenant, il fait étudier les enfants, ce qui n’était pas le cas avant. » 

 

Il faut y voir de l’espoir. L’avenir de ces pays en crise reposera demain sur les épaules de ces enfants, mieux éduqués, mieux soignés, mieux écoutés.  

 

SOS Villages d’Enfants France a fait partie, dès 2014, des membres fondateurs du Groupe Enfance, un collectif aujourd’hui reconnu, qui rassemble 18 ONG engagées dans la défense des droits de l’enfant à l’international. Ainsi, le 23 novembre dernier, le collectif organisait à l’Assemblée nationale un colloque intitulé Les droits de l’enfant dans les contextes de crise, avec des interventions de représentants du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français, de l’Agence française de développement et de l’Unicef.

 

À cette occasion, Kamila et Oleksandr, deux jeunes Ukrainiens réfugiés et accueillis par les équipes de notre Programme de renforcement des familles, situé dans le département du Nord, ont témoigné de la fragilité de ces droits. « Avec la guerre, presque tous ont été bafoués, a expliqué Oleksandr, 15 ans. Mes droits à l’éducation ont été abandonnés puisque je ne pouvais pas aller à l’école, je ne pouvais même pas étudier à distance, car nous n’avions pas d’électricité ni de connexion WiFi. » La nourriture était évidemment restreinte et les médicaments de première nécessité manquaient, car réservés aux militaires. Kamila s’est, elle, réjouie d’avoir, grâce à sa famille d’accueil soutenue par SOS Villages d’Enfants, « la possibilité de recevoir une éducation sur un pied d’égalité avec les enfants français, de bénéficier de soins médicaux complets et gratuits ». 

L’édito d’Enzo

Je m’appelle Enzo* et j’ai 11 ans (12 en mai !). J’habite au village SOS du Lion-D’Angers depuis quelques années avec mon frère, ma sœur et une autre fratrie. Ce que j’apprécie le plus ici, ce sont les activités organisées lors des fêtes, que ce soit à Noël, à Halloween ou à d’autres occasions spéciales.  

 

D’ailleurs, l’hiver dernier, pendant les fêtes, j’ai eu la chance d’aller au ski avec mon éducateur familial, mon frère et ma sœur. C’était la deuxième fois que je partais skier ! 

 

J’aime de nombreux sports : le handball, l’équitation, le foot, la natation… et j’ai de la chance, car en plus de mes entraînements de handball tous les mercredis, il y a beaucoup d’activités autour de l’équitation dans mon village. Récemment, j’ai aussi eu l’opportunité incroyable d’être sélectionné comme ramasseur de balles lors d’un match de l’équipe de foot de notre ville. C’était une expérience formidable de pouvoir observer les joueurs de près et de vivre l’excitation du terrain. 

 

À l’école, même si je ne suis pas un as en maths, j’adore ça. Les calculs m’amusent et j’aime relever les défis. En dehors des cours et de mes activités sportives, je m’évade en lisant les aventures hilarantes de Mortelle Adèle. Cette BD raconte la vie d’une fille qui fait plein de bêtises, et chaque histoire me fait éclater de rire. 

 

 * Par souci de confidentialité, le prénom de l’enfant a été changé. 

Les mêmes chances que les autres pour étudier

 

 

 

Grâce au soutien de ses donateurs, SOS Villages d’Enfants aide les jeunes majeurs qui sortent des villages à poursuivre leurs études. 

 

SOS Villages d’Enfants porte une grande attention à la scolarité des enfants qu’elle accueille. Déterminée à tout mettre en œuvre pour favoriser leur réussite, l’association a développé des programmes au long cours comme Pygmalion, qui met la scolarité au cœur de l’intervention éducative dans le cadre du placement. Cette ambition se concrétise tout au long de l’accueil afin de permettre à chaque enfant de s’épanouir au mieux dans les apprentissages, et se poursuit lorsqu’ils quittent le village. « Sur la soixantaine de jeunes majeurs qui, chaque année, débutent leur vie d’adulte, nombreux sont ceux qui visent ou ont déjà entamé un cursus au moins bac +2 », souligne Clarisse Dachy, coordinatrice de la politique Jeunes Majeurs chez SOS Villages d’Enfants. Faisant leurs premiers pas vers l’indépendance et l’autonomie, ils font face à bien plus de contraintes que les étudiants ayant la possibilité de continuer à vivre chez leurs parents. SOS Villages d’Enfants fait en sorte d’alléger celles-ci, particulièrement pour ceux qui ont été radiés et n’ont plus accès aux bourses du Crous, ou n’ont pas obtenu de contrat Jeune Majeur*. 

 

« Nous pouvons prendre en charge leurs frais de scolarité, notamment ceux demandés par les écoles privées lorsque le jeune n’a pas la possibilité de suivre son cursus dans le secteur public, explique Clarisse Dachy. Nous finançons aussi des classes prépa, de plus en plus indispensables pour réussir certaines études, par exemple en droit ou en médecine. » En 2023, six jeunes ont bénéficié de ce dispositif.  

 

Mais, parfois, même sans frais de scolarité élevés, certains jeunes peinent à s’en sortir. SOS Villages d’Enfants peut alors prendre à sa charge des coûts supplémentaires afin de leur permettre de poursuivre leurs études dans des conditions favorables. Le financement des frais de cantine et des restaurants universitaires fait partie des options de soutien qui peuvent être fournies. L’association peut aussi contribuer, à hauteur de 800 euros, à l’achat d’un ordinateur, une participation étant demandée à l’étudiant. En 2023, six jeunes ont pu profiter de ce coup de pouce. Une fois leurs études terminées, l’accompagnement de SOS Villages d’Enfants permet également de faciliter l’insertion socioprofessionnelle des jeunes. « Nous pouvons payer le permis des diplômés qui ont besoin de mobilité pour trouver un emploi », ajoute la coordinatrice. Et pour ceux en quête d’un tout premier poste, l’association peut leur apporter une aide financière pendant les premiers mois, en couvrant leurs charges. 

 

« Grâce à toutes ces mesures, les jeunes qui souhaitent faire de longues études n’en sont pas empêchés. Et, comme dans une famille lambda, ils ont le droit d’expérimenter, de changer d’orientation, de projet professionnel… Nous leur donnons les mêmes chances que les autres. »  

 

*Une aide financière parfois octroyée par les conseils départementaux aux 18-21 ans.

 

Un abri antibombardements pour le village d’Idjevan

 

En Arménie, maltraitances et délaissements ne sont pas les seuls périls qui menacent les enfants. SOS Villages d’Enfants France vient d’y financer un abri antibombardements. 

 

 

Lorsqu’on évoque SOS Villages d’Enfants, les images qui viennent en tête sont celles de frères et sœurs jouant dans une maison familiale sous le regard attentif de leurs éducatrices. Mais loin de nos frontières, cet accueil s’inscrit parfois dans un contexte bien plus sombre. SOS Villages d’Enfants France a ainsi financé la construction d’un abri antibombardements pour le village d’Idjevan, en Arménie. 

 

Depuis des décennies, le pays est en conflit avec l’Azerbaïdjan à propos de l’enclave séparatiste du Haut-Karabakh, majoritairement peuplée d’Arméniens. Les forces azerbaïdjanaises y ont remporté une victoire éclair fin septembre 2023, après avoir bloqué pendant neuf mois la seule route reliant le Haut-Karabakh et l’Arménie, privant ainsi la population de ressources essentielles telles que nourriture et médicaments. Gevorg Tadevosyan, le directeur du village, estime que la menace d’un bombardement demeure, « compte tenu de l’accumulation des forces militaires de part et d’autre. La ville d’Idjevan n’est qu’à 20 kilomètres de la zone de conflit et la probabilité d’opérations militaires reste élevée ». 

 

Officiellement ouvert le 1er juillet 2010, le village d’enfants d’Idjevan a accueilli sa première fratrie en septembre 2009. Il accompagne aujourd’hui 53 enfants dans 14 logements répartis sur cinq bâtiments. Deux appartements sont dédiés à l’accueil d’urgence. L’équipe gère aussi une garderie et un programme de renforcement des compétences familiales. 

 

SOS Villages d’Enfants France assure 70 % des coûts de fonctionnement des deux villages d’enfants que compte l’Arménie. L’édification de l’abri, décidée en 2020 après 44 jours de guerre, a nécessité un an. « Ce bâtiment souterrain d’une superficie de 157 m2 permet à 90 personnes d’y trouver refuge, précise Gevorg Tadevosyan. Une capacité suffisante pour abriter tous les enfants et les membres de l’équipe. Il compte un étage, des espaces de vie et de repos, deux halls, deux salles de bains, une pièce pour le réservoir d’eau et une fosse souterraine qui abrite un générateur électrique. Il est équipé de lits pliants. De la nourriture et de l’eau y sont stockées et régulièrement renouvelées afin de permettre d’y rester confiné jusqu’à deux mois. »    

 

Comme tous les habitants vivant dans les zones frontalières, les enfants craignent que la guerre reprenne. « Mais les psychologues travaillent avec eux pour les aider à surmonter leurs angoisses et, même s’il rappelle la menace, l’abri les aide surtout à se sentir plus en sécurité », conclut le directeur.  

Promesse tenue !

 

 

 

Confié dès sa naissance, le parcours de Jérémy Douez force l’admiration. Réussite professionnelle, sociale, familiale… il incarne tout ce pour quoi existe SOS Villages d’Enfants : permettre aux enfants protégés par l’aide sociale à l’enfance de révéler toutes leurs potentialités. 

 

Ce 30 mars 2022, la vie de Jérémy Douez a basculé du rêve au cauchemar. « L’ascenseur émotionnel a été intense », se souvient cet ancien enfant accueilli au village SOS de Marly (Nord), aujourd’hui âgé de 35 ans. Camille, sa compagne, avait donné naissance à Raphaël, leur second fils, dix jours plus tôt. Mais la famille n’a pas eu le temps de savourer longtemps cette arrivée et les moments de tendresse qui auraient dû l’accompagner. Les médecins venaient de découvrir chez la jeune maman une tumeur au cerveau dont il fallait l’opérer d’urgence. 

« Son pronostic vital était engagé et, si elle s’en sortait, c’était avec un risque d’invalidité de 80 % », raconte Jérémy. Le papa a alors dû assurer le quotidien de Raphaël, celui d’Eliott, son grand frère né en août 2018, être présent pour Camille et faire face à ses propres émotions. « J’ai heureusement pu compter sur le soutien des parents de Camille, qui sont nos voisins », explique-t-il. Jérémy s’est aussi beaucoup confié à Olivier Dricot, directeur de la Maison Claire Morandat1, qu’il a connu quand il était chef de service du village de Marly. « C’est quelqu’un dont je suis très proche, ajoute-t-il. Je suis d’une nature pudique et c’est la seule personne devant laquelle je me suis autorisé à pleurer. » 

 

 

Recevoir un bisou le soir 

 

Une épreuve de plus pour Jérémy que la vie n’a pas épargné. Les difficultés de ses parents, qu’il décrit comme trop immatures et avec des problèmes d’alcool, l’ont conduit à être confié, dès l’âge d’un an, à un foyer du nord de la France, avec sa sœur aînée, mais séparé de son petit frère. Le quatrième de la fratrie n’était, alors, pas encore né. Les enfants y resteront trois ans avant de retourner brièvement avec leurs parents. La violence au sein de la famille et une désocialisation importante (ils ont vécu pendant trois mois dans une voiture) ont mené Jérémy et ses frères et sœurs à de nouveaux placements dans différents foyers. 

 

Ce n’est qu’au printemps 1994 que la fratrie se reconstitue en posant sa valise au village d’enfants de Marly. Ils découvrent, d’abord avec Clothilde, puis avec Pierrette, leurs mères SOS, une vie de famille que Jérémy qualifie de « normale ». Avoir des copains, faire des boums, aider à mettre la table, recevoir un bisou le soir… « Des petites choses qui m’ont remis debout », nous expliquait-il déjà en mars 2017 dans Villages de Joie. 

 

Aujourd’hui encore, il insiste sur le rôle d’ancrage qu’ont joué les équipes du village d’enfants dans sa reconstruction, puis dans l’accompagnement vers sa vie d’adulte. Titulaire de deux BTS, un d’assistant de direction en milieu hôtelier et un autre en commerce, Jérémy est désormais délégué pharmaceutique. « Je vends principalement des crèmes dermato-cosmétiques. C’est un milieu dans lequel je me plais bien. D’ailleurs, on m’a déjà demandé si prendre un poste de directeur régional m’intéresserait. La plupart des jeunes qui sont accueillis chez SOS Villages d’Enfants ne prennent la mesure de tout ce dont ils ont bénéficié qu’à leur départ du village. Je n’oublie jamais cette chance incroyable d’avoir eu ce lieu où l’on se savait en sécurité et accompagnés par des gens toujours prêts à nous écouter. » 

 

Réussir sa vie 

 

Cette attention sans faille, Jérémy l’exprime aujourd’hui avec ses enfants. « Je suis un vrai papa poule ! sourit-il. Je m’inquiète vite et je les gâte parfois un peu trop. Mais c’est un tel bonheur de les aider à grandir. Le premier « papa » prononcé par Eliott a été un moment si fort !» 

 

Des moments forts, il y en a aussi eu énormément le 1er juillet dernier, jour du mariage de Camille et Jérémy. Car, déjouant les plus sombres pronostics, Camille est sortie de son opération sans séquelles majeures. Une journée remplie d’émotions et de discours bouleversants pour les jeunes mariés. La neurochirurgienne qui avait opéré Camille avait d’ailleurs envoyé un message vidéo diffusé pendant la soirée, de même que Mathias Malzieu et Babet, membres du groupe Dionysos dont Camille est fan et que Jérémy avait sollicités. 

Pour l’ancien du village de Marly, ce mariage a été une nouvelle page tournée dans la construction de sa propre histoire. « J’ai aussi décidé d’abandonner mon nom de famille pour adopter celui de ma femme, ajoute-t-il. SOS Villages d’Enfants m’apporte, là encore, son soutien, puisque c’est l’un des avocats de l’association qui m’épaule dans mes démarches. » 

Parmi les 150 personnes invitées à la cérémonie laïque, Mehdi, un ancien jeune du village de Marly, avec lequel Jérémy a partagé la maison familiale, mais aussi Mathieu Masure, éducateur du village d’enfants de Marly et, bien sûr, Olivier Dricot. « C’est Olivier que j’ai choisi comme témoin, explique Jérémy. C’était pour moi à la fois une évidence de le lui proposer et un honneur qu’il l’accepte. Et je suis convaincu que cela a aussi été une fierté pour lui d’endosser ce rôle. Il est mon papa de cœur et le grand-père de cœur de mes enfants. D’ailleurs, le second prénom d’Eliott est Olivier. » 

 

Très jeune, Jérémy s’était fait une promesse : celle d’avoir une belle vie et d’offrir à ses enfants l’amour qu’il n’avait pas reçu de ses parents. Promesse tenue !  

 

1- La Maison Claire Morandat est un établissement de SOS Villages d’Enfants, situé à Valenciennes et dédié à l’accompagnement vers l’autonomie des 16-21 ans. 

 

 

L’édito de Marco

Je m’appelle Marco et j’ai 10 ans. J’ai une sœur jumelle et une petite sœur de 9 ans. Nous vivons tous les trois au village d’enfants SOS depuis six ans. Beaucoup de choses me plaisent ici : les sorties, le droit de s’exprimer pour dire nos problèmes et nos soucis, on est à l’écoute des gens. À la rentrée, je suis arrivé dans une classe de CM1-CM2, dans une nouvelle école. Celle où j’étais avant était trop ancienne. Elle ne pouvait plus nous accueillir et a dû fermer. La nouvelle est plus grande. J’y ai retrouvé quelques copains, et surtout je m’en suis fait des nouveaux. Le mercredi après-midi, je vais au centre de loisirs, qui propose des ateliers et des jeux de société. Le programme est différent chaque mercredi, à chaque fois, c’est une surprise ! J’aime dessiner, créer des choses avec du papier et jouer aux jeux de construction.  

Ce que j’aime aussi, c’est qu’il y a plein de bons moments au village SOS. Je me souviens de la fête de départ pour l’ancienne directrice du village SOS, je m’y suis beaucoup amusé. Et aussi des fêtes d’anniversaire. Et je me souviens d’une dame de ménage qui était très gentille et que j’aimais bien. En ce moment, on prépare Noël. On sera tous ensemble*, on s’échangera des cadeaux et il y aura peut-être le Père Noël. Ensuite, je le fêterai avec mes sœurs et ma mère SOS. Je suis impatient !  

 

** Tout le village SOS : les enfants, les mères et les pères SOS et toute l’équipe pluridisciplinaire. 

Ouvrir un village d’enfants : quelle aventure !

 

 

Ces dernières années, SOS Villages d’Enfants a ouvert de nombreux villages d’enfants afin de répondre aux besoins des fratries. Un développement qui se poursuivra prochainement dans le Morbihan, le Doubs et les Vosges. Si la pertinence d’un accueil familial en fratrie fait à présent consensus dans le débat public et dans l’opinion, grâce à notre action au quotidien et au plaidoyer porté avec vigueur auprès des pouvoirs publics, la création d’un village, son intégration sur la commune, ou encore le recrutement des équipes, constituent à chaque fois une prouesse technique et une grande aventure humaine.   

 

« Je vois encore les enfants coller sur les fenêtres de leur chambre d’immenses feuilles de papier sur lesquelles ils avaient dessiné leur profil et écrit quelques mots qui leur tenaient à cœur : papa, maman, amour… », se souvient Anne Fustinoni, 60 ans, éducatrice familiale au village d’enfants SOS de Beauvais-sur-Matha. En ce mois d’août 2017, cette mère SOS venait d’accueillir une fratrie de quatre bouts de chou, deux garçons de 8 et 10 ans et deux filles de 11 et 12 ans, dans la toute première maison de ce nouveau village d’enfants de Charente-Maritime. L’équipement était flambant neuf, mais il manquait encore des fauteuils et les rideaux aux fenêtres. Les grandes feuilles octroyaient donc un peu d’intimité. Au fil des jours, d’autres mots et d’autres dessins se sont ajoutés sur ces stores de fortunes écrivant l’histoire de leur arrivée. « C’était leur manière de s’approprier les lieux, confirme l’éducatrice familiale. D’ailleurs, peu de temps après, lorsque les rideaux sont arrivés, ces dessins ne sont pas partis tout de suite à la poubelle : ils avaient du sens pour eux. » Anne Fustinoni se souvient aussi du jour où les deux canapés du salon, l’un vert moutarde, l’autre gris clair, ont été livrés. « Je ne m’y attendais pas, mais ce fut… la fête ! Jusqu’alors, nous passions nos soirées autour de la table du salon. Nos chaises n’avaient rien d’inconfortable, mais ces canapés, c’était du cocooning, du relâchement, du laisser-aller du corps et des émotions. » 

 

Anne Fustinoni a rejoint l’association en décembre 1999 et sa première expérience professionnelle était déjà dans un tout nouveau village, à l’époque celui de Châteaudun. « Ouvrir un village, c’est magique ! La plupart des salariés viennent d’horizons différents et n’ont pas encore d’expérience au sein de l’association. Nous avons donc un point commun avec les enfants : pour nous comme pour eux, tout est nouveau. Alors, peu importe que des rideaux manquent ou que la maison voisine soit occupée par des ouvriers qui la terminent. Au contraire même, c’est une chance de vivre quelque chose de pas banal. Il faut s’en servir pour s’en faire des souvenirs et des anecdotes communs. C’est une aventure humaine très forte. » 

 

 

RÉPONDRE À L’APPEL 

 

Cette aventure que constitue l’ouverture d’un nouveau village, SOS Villages d’Enfants la multiplie ces dernières années. Cet été, les villages de Commentry (Allier) et de Fontcouverte (Charente-Maritime) ont accueilli leurs premières fratries. La commune de Cusset (Allier) attend le sien pour début 2024 au plus tard, à L’Isle-sur-le-Doubs, la première pierre est prévue pour le deuxième trimestre 2024 et celui de Sarzeau (Morbihan) sortira de terre d’ici le troisième trimestre 2025. « Nous avons aussi acté l’ouverture d’un village à Plumelin (Morbihan), sans doute courant 2026, à Besançon (Doubs) début 2026 et, plus tard, deux autres dans les Vosges », complète Camille Bussière de Nercy, responsable du suivi de ce développement. 

Indéniablement, le modèle d’accueil familial proposé par SOS Villages d’Enfants est de plus en plus recherché. Il faut dire que si le principe de non-séparation des fratries remonte à 1996, la loi Taquet de 2022 l’a renforcé. Elle a incité les départements à enrichir leur offre d’accueils dédiés aux frères et sœurs. La demande croissante des départements rencontre l’expertise de l’association.  

 

En pratique, la création de nouvelles structures passe par la volonté d’un département de permettre une nouvelle modalité d’accueil des fratries. Le conseil départemental lance alors un appel à projets auquel l’association choisit de répondre ou non. « C’est là le choix de notre comité de pilotage, qui regroupe la plupart de nos directions, notamment la direction générale, la direction des activités, la direction de l’immobilier et la direction des finances, explique Camille Bussière de Nercy. Ce comité étudie la localisation, les conditions et les délais d’ouverture, la présence d’équipements sportifs et culturels sur la commune d’implantation, de transports publics, ainsi que le cahier des charges, qui ne doit évidemment pas aller à l’encontre de nos fondamentaux et sera validé par nos administrateurs. »  

 

La mission de SOS Villages d’Enfants est de permettre à chacun des enfants accueillis de grandir avec ses frères et sœurs, auprès de professionnels engagés dans la durée, dans le respect de ses droits, pour trouver la sécurité affective et les repères éducatifs dont il a besoin, jusqu’à son inclusion pleine et entière dans la société.   

 

Lorsque l’association remporte un appel à projets, les nombreuses étapes de création d’un village commencent. Généralement, la première consiste à identifier la commune qui va accueillir le village, même s’il y a des exceptions (voir p. 7 celle de Sarzeau). Ensuite, 15 mois d’études et de conception des plans, des bâtiments, des infrastructures extérieures sont nécessaires. La phase de construction proprement dite prend, quant à elle, plus ou moins 18 mois. « Faire sortir un village de terre, c’est, à la fois, initier des travaux de construction lourds, mais aussi s’assurer que le réseau internet fonctionnera, trouver un nom à la rue d’accès, avoir une adresse postale référencée, ouvrir des comptes bancaires, commander des meubles pour les maisons, les bureaux et les espaces communs, faire installer des cuisines, s’assurer que les portes ferment bien… », détaille Camille Bussière de Nercy. 

 

 

BÂTIR DES MURS, TISSER DES LIENS 

 

Mais construire des murs et des toits ne suffit pas. Pour qu’une implantation de village d’enfants se passe bien, il faut aussi bâtir des liens avec la commune qui accueille le village. « L’arrivée d’enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) sur une commune peut générer des craintes, car les a priori sur ces enfants existent. Nous devons en tenir compte, confirme Vincent Douillez, futur directeur du village morbihannais et actuel chef de service éducatif à Calais. Nous devons arriver comme nouveaux habitants de la commune et non comme un groupe désolidarisé de la vie locale. Mais cela ne se décrète pas. C’est quelque chose qu’il faut dire, répéter, puis démontrer en participant à des manifestations locales ou en en organisant nous-mêmes. »  

Cette adoption mutuelle débute souvent dès la pose de la première pierre, une occasion de se présenter à la population et à la presse pour expliquer ce qui fait la spécificité de la prise en charge par SOS Villages d’Enfants. Et une fois les portes ouvertes, tous les salariés d’un village sont aussi invités à échanger avec les écoles, les associations sportives et culturelles, les pédopsychiatres, les centres médico-psychologiques, les commerçants, les voisins…  

 

Le village d’enfants de Fontcouverte, en Charente-Maritime, a ouvert ses portes le 26  août dernier avec une première fratrie de trois enfants âgés de 4 à 8 ans. Le village est situé en périphérie d’un bois, les 11 maisons jouxtent l’école maternelle. Le gymnase de la commune, ainsi que les cours de tennis et le terrain de football sont aussi très proches. Stéphane Aranda, son directeur, insiste sur le rôle des cadres pour réussir cette greffe. « Le directeur ou la directrice doivent incarner la fonction dans l’exemplarité, il doivent être animés par l’humanisme et la bienveillance. Les équipes doivent le ressentir, mais aussi les partenaires extérieurs. En dehors de leur temps de travail, les membres de l’équipe du village ont d’ailleurs participé à un forum d’associations qui leur a permis de se présenter eux-mêmes et notre manière unique d’accueillir les enfants. » 

 

Ouvrir un nouveau village, c’est également pour la direction et l’équipe nouer des liens de confiance avec l’aide sociale du département et les travailleurs sociaux du territoire. C’est aussi un maillage essentiel avec la commune d’accueil, afin que l’arrivée du village soit synonyme d’une magnifique opportunité. 

Vincent Douillez souligne que l’ouverture d’un village d’enfants est ainsi synonyme de classes d’école qui se remplissent, de nouveaux adhérents aux clubs de sport ou encore de salariés qui vont faire vivre les commerces locaux, utiliser les services publics… « Bien sûr, on construit un village d’enfants d’abord pour répondre à des besoins sociaux et non pour dynamiser économiquement un territoire, mais cette dimension participe aussi à notre intégration. »    

 

Le recrutement des équipes est une autre façon de se faire connaître. Les offres d’emploi sont diffusées sur le site de l’association, mais aussi à l’échelle locale via les agences  de Pôle emploi, les annonces dans la presse, des réunions collectives, des participations aux forums de l’emploi, des échanges avec les écoles de formation d’éducateurs spécialisés…  

Le futur directeur de Sarzeau souhaite que les candidats aient une idée des enjeux de la protection de l’enfance, qu’ils aient pris connaissance du projet associatif, mais aussi, pour les postes d’éducateur ou d’éducatrice et d’aide familiale, qu’ils aient conscience de l’engagement particulier qui est demandé. « Leurs embauches se font d’ailleurs plusieurs mois avant l’ouverture des portes pour qu’ils  aient le temps d’aller en immersion dans d’autres villages. Ils s’assurent ainsi que ce métier centré sur l’épanouissement d’enfants au parcours traumatique est fait pour eux. » Un point de vue que partage Stéphane Aranda. « Chez nous, c’est l’enfant qui est au centre de tout. Intégrer un nouveau village d’enfants, c’est lier sa propre histoire à l’ouverture d’un village. C’est exigeant et exaltant ! » 

 

 

ACCUEILLIR CHAQUE ENFANT PERSONNELLEMENT 

 

Mais plus encore que le recrutement, l’encadrement ou les événements conviviaux initiés, les meilleurs ambassadeurs d’une bonne intégration sont toujours les enfants eux-mêmes. Eux qui iront à l’école, feront du sport, auront des copains, passeront du temps en ville, en forêt ou à la plage, inviteront leurs amis pour leur anniversaire… L’accueil personnalisé de chacun d’entre eux est donc une absolue priorité. C’est l’une des raisons pour lesquelles les maisons n’ouvrent pas toutes en même temps, mais à raison de deux tous les deux mois environ. Une arrivée massive d’enfants répondrait aux besoins urgents de placements, mais au détriment de la qualité de la prise en charge. Les mères et pères SOS prennent possession des lieux une trentaine de jours avant d’accueillir les enfants. Un temps pendant lequel ils aménagent et décorent en partie la maison.  

« Les enfants doivent arriver chez quelqu’un, dans un lieu de vie, et non pas dans une structure froide et désincarnée », illustre Vincent Douillez. C’est aussi un temps qui permet aux éducateurs familiaux de commencer à nouer des relations avec les enfants qui, quelques semaines plus tard, viendront vivre avec eux. « Lorsque je suis allée rencontrer ma fratrie, les enfants vivaient alors en foyer, raconte Anne Fustinoni. J’ai demandé à chacun de me confier un objet qui lui était cher : un jouet, une peluche, un foulard… Lorsqu’ils ont découvert leur nouveau lieu de vie, cet objet les attendait sur le lit ou, plus exactement, sur leur lit, dans leur chambre. C’était une manière de leur dire “tu es chez toi”. »  

Avant de venir vivre à Beauvais-sur-Matha, les frères et sœurs avaient aussi eu l’occasion de partager un repas dans la maison aux finitions encore inachevées. Pour pallier l’absence de certains meubles et de décoration, l’éducatrice familiale avait orné la table à manger de nombreux tournesols. « C’était très joyeux, très lumineux et les enfants m’ont souvent reparlé de cette table qui leur avait fait fort et belle impression. » Enfin, Anne Fustinoni avait offert à chacun un petit album photo dans lequel se trouvaient des clichés du village, de la maison, des membres de l’équipe, de leur future école, de la ville et d’un… arbre. « Celui-ci se trouvait à proximité du village, raconte la mère SOS. Lors de notre toute première balade, le jour de leur arrivée, le jeu que je leur avais proposé était qu’ils reconnaissent cet arbre parmi tous ceux que nous croisions. Ce sont là de toutes petites choses, mais qui leur sont très utiles pour les aider à adopter leur nouvel environnement, leur nouvelle vie parmi nous. » 

L’association cite souvent le dicton africain qui dit si justement qu’« il faut tout un village pour élever un enfant ». Directeur, éducateurs, informaticiens, comptables, juristes, architectes et donateurs… il faut aussi toute une association pour faire naître un village.  

 

 

Terrain d’entente 

 

Le futur village du Morbihan n’aurait jamais vu le jour à Sarzeau sans Marie-Hélène, donatrice, qui a offert un terrain à l’association. 

 

« Je viens vous offrir un terrain à Sarzeau, dans le Morbihan, pour qu’un jour y naisse un village. » Voilà ce qu’un jour de décembre 2016, Marie-Hélène annonça à SOS Villages d’Enfants. Un village d’enfants sur son lieu de vie ? Ce fut longtemps un rêve pour cette donatrice, mais un rêve qui deviendra réalité au troisième trimestre 2025. Son terrain comptera alors 7 maisons qui accueilleront 35 enfants. 

 

 « C’est en relevant le courrier de mon père décédé en 2009 que j’ai découvert SOS Villages d’Enfants », se souvient Marie-Hélène. Touchée par le soutien apporté aux fratries, elle est aussitôt devenue donatrice… sans imaginer qu’elle serait un jour à l’origine de la création d’un village d’enfants SOS. Au décès de sa mère, en 2016, elle hérite d’un terrain de 8 000 m2 qu’elle décide d’abord de léguer à l’association. Elle se dit que, peut-être, celle-ci pourra un jour y ériger un village d’enfants.  

« C’est mon géomètre qui m’a incitée à voir si ce village que j’imaginais ne pouvait pas être bâti de mon vivant.  » Marie-Hélène prend contact avec le maire de Sarzeau et avec l’association. À cette époque, elle ignore que ce sont les conseils départementaux qui financent ce type de projet. Qu’importe. C’est bien elle qui a donné l’impulsion initiale, elle qui a aidé à nourrir les réflexions du conseil départemental du Morbihan qui, quelques années plus tard, a lancé un appel à projets.  

 

« Sarzeau est une commune touristique, peu urbaine, à 30 minutes de grands pôles administratifs et de services. Ce n’est pas un lieu d’implantation auquel nous aurions spontanément pensé sans le don de Marie-Hélène, confirme Vincent Douillez, le futur directeur du village. Marie-Hélène est quelqu’un de très engagé pour notre cause. C’est aussi son projet à elle et je sais qu’elle aura les yeux qui brilleront lorsque la première pierre sera posée et quand les premiers enfants seront accueillis. » 

 

L’initiatrice de cette création avoue avoir « beaucoup stressé » ces dernières années. « Ce fut très long, il y a eu beaucoup d’étapes et d’attente qui m’ont mise à l’épreuve même si, personnellement, je n’ai pas fait grand-chose, j’ai été très bien accompagnée par les équipes de l’association, dit-elle modestement. Mais oui, c’est une fierté et une joie de savoir que mon don permettra bientôt de sauver quelques enfants. » 

 

En hommage à cet acte d’une grande générosité, l’allée d’accès au village portera le nom des parents de la donatrice. 

 

 

 

 

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