Séismes, conflits armés, sécheresse, terrorisme… de nombreux pays connaissent des crises majeures dont les conséquences peuvent être dévastatrices pour les enfants qui en sont victimes : exploitation, violences, déscolarisation… Afin de répondre à cette dure réalité, les interventions de SOS Villages d’Enfants se distinguent par leur approche globale centrée sur les droits de l’enfant.
« Tu as le droit d’avoir un nom, une nationalité et une identité. Tu as le droit d’être protégé de la violence, de l’exploitation ou des discriminations. Tu as le droit d’être soigné, d’aller à l’école, celui de jouer ; le droit de t’exprimer, d’être écouté. Et tu as le droit d’avoir une famille, d’être entouré et aimé. » Voilà ce que dit, en substance, la Convention internationale des droits de l’enfant à chaque enfant de cette planète. Un texte important, aujourd’hui ratifié par 197 États, qui met en avant quatre principes fondamentaux : le droit de vivre, la non-discrimination, l’intérêt supérieur de l’enfant et le respect des opinions des mineurs. Des évidences, penserez-vous ? L’application de ces droits ne va pourtant pas toujours de soi, particulièrement dans les pays en crise. Conflits territoriaux, tremblements de terre, terrorisme, sécheresse, effondrement économique… autant d’événements dramatiques, ponctuels ou durables, dont les enfants sont les premières victimes.
« Ce qu’on appelle l’approche par les droits de l’enfant est la boussole de l’intervention de SOS Villages d’Enfants partout dans le monde, explique Leslie Goldlust, directrice des programmes internationaux de l’association. Concrètement, cela signifie qu’en cas de crise humanitaire, sociale, armée, que l’on soit dans le cadre de l’urgence, du développement ou de la reconstruction, les droits des enfants restent les mêmes et ne peuvent leur être ôtés. » Or, en temps de crise, les enfants restent les plus vulnérables et les interventions humanitaires visent principalement à répondre rapidement aux besoins les plus urgents des populations affectées (soins, aide alimentaire, abris…). Il n’est bien sûr pas question d’opposer les uns aux autres, « mais il faut répondre aux besoins fondamentaux des enfants, en gardant en tête cette approche par les droits », précise Florine Pruchon, responsable du Pôle plaidoyer chez SOS Villages d’Enfants.
C’est pour cela que l’association allie au quotidien l’action de terrain et la contribution au débat public grâce au plaidoyer. Derrière le terme « plaidoyer » se cachent toutes les manières de défendre la cause des enfants et des jeunes accueillis en protection de l’enfance, en France et dans le monde. Cela regroupe l’ensemble des actions de sensibilisation, les études, les rapports d’expertise, les recommandations… que mène et formule l’association en direction des décideurs politiques et du grand public. L’objectif est de peser sur les décisions en matière de protection des enfants, car « personne ne s’oppose frontalement aux droits des enfants, mais ce n’est pas non plus « la » priorité des décideurs. C’est grâce au travail de plaidoyer que le secteur associatif mène depuis de nombreuses années que la question est de plus en plus intégrée dans les textes de loi », complète Florine Pruchon.
TERRAINS D’EXPERTISE
L’engagement de SOS Villages d’Enfants se concrétise sur le terrain à travers différents programmes d’accompagnement conçus pour répondre, dans la durée, aux situations de crise. Présente dans 137 pays et territoires dans le monde, SOS Villages d’Enfants est concernée par la plupart de celles qui touchent la planète. L’association française apporte plus spécifiquement son aide (à la fois financière et de suivi/évaluation de ces programmes) à une dizaine de pays, principalement situés en Afrique de l’Ouest, mais également en Haïti, en Arménie et à Madagascar.
« Dans un pays comme le nôtre, le premier et le plus important des droits des enfants à assurer, c’est celui de survivre. Ensuite, il nous faut préserver les enfants d’être mis au travail, leur permettre de se soigner, d’aller à l’école… Mais tous ces droits sont intimement liés les uns aux autres », souligne Bouzoue Bazongo, coordinateur de la prise en charge alternative à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, l’instabilité sociopolitique est intense depuis 2015. Les coups d’État se sont multipliés et les actions terroristes de djihadistes sont régulières, particulièrement dans la région du Sahel. « Ce contexte sécuritaire nous a conduits à créer une Maison d’accueil d’urgence en avril 2022, poursuit Bouzoue Bazongo. Elle peut accueillir simultanément jusqu’à huit enfants abandonnés, victimes de traite, dont on a perdu la trace des parents, ou encore des fugueurs… Leurs profils sont donc différents de ceux habituellement accueillis au village SOS. » Une éducatrice familiale, un psychologue, une assistante sociale et un éducateur travaillent ensemble au sein de cette maison. Ils sont en lien avec les autorités locales, le juge des enfants et la gendarmerie, pour trouver, ensemble et en six mois, une solution d’hébergement pérenne pour chacun. Dans le meilleur des cas, les parents ou des membres de leur famille sont retrouvés. « Mais lorsqu’il s’agit de parents éloignés, ceux-ci voient souvent ces enfants comme des bouches de plus à nourrir, regrette Bouzoue Bazongo. Notre rôle est alors de les orienter vers les structures d’État qui peuvent les aider, mais aussi de les former à la responsabilité parentale et de les aider à développer des activités génératrices de nouveaux revenus. »
Permettre aux familles d’avoir une autonomie financière, c’est aussi l’un des buts du programme ARPEJ, cofinancé par l’Agence française de développement. ARPEJ, Approche régionale pour la protection de l’enfance et de la jeunesse, a été lancé en 2021 en Côte d’Ivoire, au Togo et au Burkina Faso. « Ce programme cible les zones où se trouvent les familles les plus vulnérables, notamment des mères isolées, au pouvoir d’achat très faible. Quelque 70 familles, soit plus de 300 enfants, bénéficient d’ARPEJ chez nous », détaille Mariette Kanguembega, coordinatrice du programme à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso.
Bon nombre de ces familles très pauvres hébergent des proches – parfois même des inconnus – qui ont fui les zones où se multiplient les attaques terroristes. C’est le cas d’Alizetta, 60 ans, qui vit avec ses sept enfants et petits-enfants dans une maisonnette de tôle. Il y a plus d’un an, elle a accueilli sa fille et ses trois enfants déplacés. « ARPEJ a développé un soutien d’urgence pour répondre à ce type de situations, ajoute Mariette Kanguembega. Nous avons pu apporter à Alizetta un appui en vivres (riz, maïs, haricots…) et avons prévenu les services de l’État, qui l’ont aussi aidée à nourrir sa famille. Mais nous l’avons surtout accompagnée pour qu’elle lance un élevage de moutons. Nous lui avons donné son premier couple de chèvres, de l’alimentation animale, des abreuvoirs, des mangeoires… Des petits sont déjà nés et, à terme, la famille sera autonome. »
Une étape essentielle pour que les enfants ne soient pas contraints de travailler est qu’ils reprennent le chemin de l’école. C’est dans ce même objectif que SOS Villages d’Enfants Burkina Faso paye les frais de scolarité et les fournitures scolaires de près de 200 d’entre eux. « J’ai retrouvé ma fierté, lance Germaine, 15 ans. Je risquais de ne pas passer mon BEPC et je voyais mes camarades poursuivre leurs études sans moi… J’ai été grandement soulagée et cela m’a beaucoup encouragée à bien travailler en classe. » Germaine est la fille de Tassembedo. Épouse d’un mari non voyant et maman de deux enfants qui avaient été renvoyés de l’école pour défaut de paiement, Tassembedo est, elle aussi, épaulée dans le cadre d’ARPEJ. SOS Villages d’Enfants lui a fourni une charrette, une table d’exposition, des bâches d’étalage et 250 kg de maïs. Grâce à ce petit équipement, la maman vit désormais de la vente de farine et de couscous de maïs. Sans ce soutien, ses enfants seraient dehors, à travailler. Mariette et Bouzoue le disent d’une même voix : « Si les enfants sont vus comme des sources de revenus pour la famille, ce n’est pas que les parents n’ont pas conscience de leurs droits, c’est qu’ils pensent n’avoir pas d’autre choix. »
LE PARTAGE : UN OUTIL POUR DÉFENDRE LES DROITS
Tout comme au Burkina Faso, le village d’enfants de Mopti, au Mali, doit faire face à des risques sécuritaires liés aux attaques djihadistes. « Situé au centre du Mali, notre village est au cœur des zones de tension, explique Badou B. Touré, éducateur chargé des activités socioéducatives de ce village d’enfants. Nous devons empêcher les intrusions dans notre enceinte, mais aussi faire en sorte que les enfants ressentent le moins possible ces menaces. Et, en restant le plus souvent possible à leurs côtés, nos mères SOS jouent un rôle crucial. »
Le village est clos et la direction a recruté des gardiens supplémentaires pour contrôler les allées et venues. Contrôler, mais ne pas interdire. « Notre village reste ouvert aux communautés des alentours, poursuit l’éducateur. Nous avons de l’eau que nous partageons. De même, notre infirmerie est ouverte à tous, comme nos installations sportives, nos espaces de jeux, notre salle de fête… Nous mettons à disposition nos infrastructures pour que les enfants soient intégrés à la communauté. Mais, dans le même temps, nous devons nous protéger des mauvaises intentions. » Malgré ce contexte tendu, les équipes gardent comme fil rouge de leur travail les droits des enfants. Les villages comptent tous un coordinateur chargé de la politique de sauvegarde de l’enfant , « et, précise l’éducateur, chaque semaine, les membres de l’équipe de notre village se réunissent pour voir s’il y a eu des entorses aux droits des enfants chez nous, mais aussi dehors. Car nous œuvrons pour que ces principes infusent hors de nos murs. Par exemple, si nous apprenons qu’un commerçant chez qui nous achetons du pain est violent avec les enfants, nous allons discuter avec lui, mais s’il ne change pas d’attitude, nous cessons d’en faire notre fournisseur. »
Badou B. Touré insiste aussi sur l’attention des équipes à écouter et à tenir compte de la parole des enfants. « Chaque année, illustre-t-il, nous participons à une compétition de foot entre communautés. Les matchs se jouent traditionnellement chez nous parce que nous avons les meilleures installations. Mais, cette année, nos jeunes nous ont demandé que certains matchs soient joués hors du village SOS. C’était pour eux une façon de ne pas passer pour des joueurs avantagés. Nous n’y avions pas pensé et les avons écoutés, bien qu’organiser des déplacements soit beaucoup plus compliqué. Mais cela leur a porté bonheur, puisqu’ils ont remporté le trophée ! »
DONNER UN FUTUR À L’AVENIR
« Miayotse Tymarefo » est une locution malgache que l’on peut traduire par « aider les plus fragiles à sortir la tête hors de l’eau ». Elle a donné son nom au programme MITYMA, mis en place à Madagascar en 2022 avec l’appui de l’AFD. « Les discriminations que subissent les enfants, les violences ou encore leur exploitation sont souvent liées à la vulnérabilité économique des familles [ndlr : exacerbée par le changement climatique, notamment les sécheresses à répétition] », constate Michael Masimbola, l’un des responsables de la mise en œuvre du programme pour la région d’Androy. MITYMA s’appuie sur plusieurs leviers : accès à la santé, aide à la création d’activités économiques, formation des parents… S’y ajoute un gros travail visant à améliorer la perception des droits de l’enfant dans les cultures locales. « Lorsqu’on manque d’eau, de nourriture, d’un toit… on ne pense pas spontanément à ces droits, ajoute Michael Masimbola. C’est pourquoi nous signons des conventions avec les représentants des communautés locales que nous formons à ces questions. Les communautés s’engagent alors à mieux détecter les cas de violence, à tout faire pour les éradiquer, à éviter les mariages précoces, à écouter les enfants… Nous sensibilisons les notables, les responsables religieux, des élus locaux… bref, tous celles et ceux qui sont écoutés par la population. Cela constitue, au final, ce que nous nommons une « protection communautaire », grâce à laquelle les droits des enfants deviennent peu à peu des normes communautaires. »
À Haïti aussi, les équipes de SOS Villages d’Enfants s’appuient sur les communautés locales pour faire face aux nombreuses crises, notamment environnementales, que connaît ce pays. Cette petite république est si régulièrement secouée par des tremblements de terre que SOS Villages d’Enfants a même mis en place des formations aux gestes de sécurité à adopter lors des secousses. L’association répond évidemment présente pour mettre à l’abri les familles privées de logement, de nourriture ou de soins après les séismes.
Face à une profonde et violente crise socioéconomique, ainsi qu’à l’insécurité liée aux gangs, les équipes locales savent mieux que personne combien la défense des droits des enfants passe par l’attention portée aux parents. Également en lien avec l’AFD, le programme DEPARE (Droits de l’enfant via une parentalité responsable) est mis en œuvre dans six quartiers de Cap-Haïtien, la deuxième ville du pays, dans le but de renforcer les capacités économiques et éducatives des parents. « Nous accueillons les enfants dans des centres de jour où ils peuvent jouer, apprendre, avoir deux repas chaque jour et, pendant ce temps-là, leurs parents peuvent se former à la cosmétique, l’électricité, la plomberie, la cuisine… », explique Phara Olivier, la responsable Projets pour DEPARE. L’association se distingue aussi par ses actions en direction des pères, qu’elle sensibilise à l’éducation positive, non violente, et à la prévention des abandons.
Recia Joseph a la charge de trois enfants, dont deux d’une amie ayant quitté le pays « en raison de ses difficultés économiques », déplore Phara. Son époux a participé à une formation sur « la paternité active et consciente ». « Avant, je n’avais pas d’autre soutien de mon mari qu’un apport financier, raconte la maman. Mais, après ces formations, j’ai remarqué des changements chez lui. Un dimanche matin, à mon retour de l’église, il avait nettoyé toute la maison, ainsi que notre cour. Un autre jour, j’avais prévu de laver beaucoup de vêtements et, à mon réveil, j’ai trouvé une grande quantité d’eau qu’il était allé chercher pour moi [ndlr : à Haïti, il n’est pas rare de parcourir plusieurs kilomètres pour accéder à un point d’eau]. Et puis, maintenant, il fait étudier les enfants, ce qui n’était pas le cas avant. »
Il faut y voir de l’espoir. L’avenir de ces pays en crise reposera demain sur les épaules de ces enfants, mieux éduqués, mieux soignés, mieux écoutés.
SOS Villages d’Enfants France a fait partie, dès 2014, des membres fondateurs du Groupe Enfance, un collectif aujourd’hui reconnu, qui rassemble 18 ONG engagées dans la défense des droits de l’enfant à l’international. Ainsi, le 23 novembre dernier, le collectif organisait à l’Assemblée nationale un colloque intitulé Les droits de l’enfant dans les contextes de crise, avec des interventions de représentants du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français, de l’Agence française de développement et de l’Unicef.
À cette occasion, Kamila et Oleksandr, deux jeunes Ukrainiens réfugiés et accueillis par les équipes de notre Programme de renforcement des familles, situé dans le département du Nord, ont témoigné de la fragilité de ces droits. « Avec la guerre, presque tous ont été bafoués, a expliqué Oleksandr, 15 ans. Mes droits à l’éducation ont été abandonnés puisque je ne pouvais pas aller à l’école, je ne pouvais même pas étudier à distance, car nous n’avions pas d’électricité ni de connexion WiFi. » La nourriture était évidemment restreinte et les médicaments de première nécessité manquaient, car réservés aux militaires. Kamila s’est, elle, réjouie d’avoir, grâce à sa famille d’accueil soutenue par SOS Villages d’Enfants, « la possibilité de recevoir une éducation sur un pied d’égalité avec les enfants français, de bénéficier de soins médicaux complets et gratuits ».