Confié dès sa naissance, le parcours de Jérémy Douez force l’admiration. Réussite professionnelle, sociale, familiale… il incarne tout ce pour quoi existe SOS Villages d’Enfants : permettre aux enfants protégés par l’aide sociale à l’enfance de révéler toutes leurs potentialités.
Ce 30 mars 2022, la vie de Jérémy Douez a basculé du rêve au cauchemar. « L’ascenseur émotionnel a été intense », se souvient cet ancien enfant accueilli au village SOS de Marly (Nord), aujourd’hui âgé de 35 ans. Camille, sa compagne, avait donné naissance à Raphaël, leur second fils, dix jours plus tôt. Mais la famille n’a pas eu le temps de savourer longtemps cette arrivée et les moments de tendresse qui auraient dû l’accompagner. Les médecins venaient de découvrir chez la jeune maman une tumeur au cerveau dont il fallait l’opérer d’urgence.
« Son pronostic vital était engagé et, si elle s’en sortait, c’était avec un risque d’invalidité de 80 % », raconte Jérémy. Le papa a alors dû assurer le quotidien de Raphaël, celui d’Eliott, son grand frère né en août 2018, être présent pour Camille et faire face à ses propres émotions. « J’ai heureusement pu compter sur le soutien des parents de Camille, qui sont nos voisins », explique-t-il. Jérémy s’est aussi beaucoup confié à Olivier Dricot, directeur de la Maison Claire Morandat1, qu’il a connu quand il était chef de service du village de Marly. « C’est quelqu’un dont je suis très proche, ajoute-t-il. Je suis d’une nature pudique et c’est la seule personne devant laquelle je me suis autorisé à pleurer. »
Recevoir un bisou le soir
Une épreuve de plus pour Jérémy que la vie n’a pas épargné. Les difficultés de ses parents, qu’il décrit comme trop immatures et avec des problèmes d’alcool, l’ont conduit à être confié, dès l’âge d’un an, à un foyer du nord de la France, avec sa sœur aînée, mais séparé de son petit frère. Le quatrième de la fratrie n’était, alors, pas encore né. Les enfants y resteront trois ans avant de retourner brièvement avec leurs parents. La violence au sein de la famille et une désocialisation importante (ils ont vécu pendant trois mois dans une voiture) ont mené Jérémy et ses frères et sœurs à de nouveaux placements dans différents foyers.
Ce n’est qu’au printemps 1994 que la fratrie se reconstitue en posant sa valise au village d’enfants de Marly. Ils découvrent, d’abord avec Clothilde, puis avec Pierrette, leurs mères SOS, une vie de famille que Jérémy qualifie de « normale ». Avoir des copains, faire des boums, aider à mettre la table, recevoir un bisou le soir… « Des petites choses qui m’ont remis debout », nous expliquait-il déjà en mars 2017 dans Villages de Joie.
Aujourd’hui encore, il insiste sur le rôle d’ancrage qu’ont joué les équipes du village d’enfants dans sa reconstruction, puis dans l’accompagnement vers sa vie d’adulte. Titulaire de deux BTS, un d’assistant de direction en milieu hôtelier et un autre en commerce, Jérémy est désormais délégué pharmaceutique. « Je vends principalement des crèmes dermato-cosmétiques. C’est un milieu dans lequel je me plais bien. D’ailleurs, on m’a déjà demandé si prendre un poste de directeur régional m’intéresserait. La plupart des jeunes qui sont accueillis chez SOS Villages d’Enfants ne prennent la mesure de tout ce dont ils ont bénéficié qu’à leur départ du village. Je n’oublie jamais cette chance incroyable d’avoir eu ce lieu où l’on se savait en sécurité et accompagnés par des gens toujours prêts à nous écouter. »
Réussir sa vie
Cette attention sans faille, Jérémy l’exprime aujourd’hui avec ses enfants. « Je suis un vrai papa poule ! sourit-il. Je m’inquiète vite et je les gâte parfois un peu trop. Mais c’est un tel bonheur de les aider à grandir. Le premier « papa » prononcé par Eliott a été un moment si fort !»
Des moments forts, il y en a aussi eu énormément le 1er juillet dernier, jour du mariage de Camille et Jérémy. Car, déjouant les plus sombres pronostics, Camille est sortie de son opération sans séquelles majeures. Une journée remplie d’émotions et de discours bouleversants pour les jeunes mariés. La neurochirurgienne qui avait opéré Camille avait d’ailleurs envoyé un message vidéo diffusé pendant la soirée, de même que Mathias Malzieu et Babet, membres du groupe Dionysos dont Camille est fan et que Jérémy avait sollicités.
Pour l’ancien du village de Marly, ce mariage a été une nouvelle page tournée dans la construction de sa propre histoire. « J’ai aussi décidé d’abandonner mon nom de famille pour adopter celui de ma femme, ajoute-t-il. SOS Villages d’Enfants m’apporte, là encore, son soutien, puisque c’est l’un des avocats de l’association qui m’épaule dans mes démarches. »
Parmi les 150 personnes invitées à la cérémonie laïque, Mehdi, un ancien jeune du village de Marly, avec lequel Jérémy a partagé la maison familiale, mais aussi Mathieu Masure, éducateur du village d’enfants de Marly et, bien sûr, Olivier Dricot. « C’est Olivier que j’ai choisi comme témoin, explique Jérémy. C’était pour moi à la fois une évidence de le lui proposer et un honneur qu’il l’accepte. Et je suis convaincu que cela a aussi été une fierté pour lui d’endosser ce rôle. Il est mon papa de cœur et le grand-père de cœur de mes enfants. D’ailleurs, le second prénom d’Eliott est Olivier. »
Très jeune, Jérémy s’était fait une promesse : celle d’avoir une belle vie et d’offrir à ses enfants l’amour qu’il n’avait pas reçu de ses parents. Promesse tenue !
1- La Maison Claire Morandat est un établissement de SOS Villages d’Enfants, situé à Valenciennes et dédié à l’accompagnement vers l’autonomie des 16-21 ans.