Les maisons familiales de SOS Villages d’Enfants :des murs où bien grandir

Les maisons familiales de SOS Villages d’Enfants : des murs où bien grandir

Pour que l’attention et l’accompagnement prodigués par les mères SOS et les professionnels des villages portent leurs fruits, la maison familiale se doit d’être à la fois un cocon familial et un espace de travail efficace.

 

 

“Qu’est-ce qu’il est beau notre mur !”. Dans une maison du village d’enfants SOS de Gémozac, cette petite phrase est régulièrement lancée (avec des variantes) par les plus grands des 5 enfants qui y vivent. “Oh oui, ils en sont fiers de leur mur », sourit Pascale Niard, 55 ans, mère SOS depuis un an.

 

C’est un concours de circonstances qui a amené ces bouts de chou âgés de 3 à 10 ans à s’approprier ces quelques mètres carrés. “Au départ, explique la mère SOS (éducatrice familiale), il y a un dégât des eaux. La fuite avait été colmatée mais l’un des murs du salon avait besoin d’un sérieux coup de peinture”. Pascale venait à peine de prendre ses fonctions et la direction du village d’enfants SOS de Gémozac lui a laissé le choix de remettre ce mur en blanc comme précédemment ou d’y apposer une couleur. Cette dernière option permettait à la nouvelle venue de créer un moment de complicité avec les enfants.

 

“Je suis allée chercher de quoi tester différentes teintes, puis nous avons voté”, se souvient-elle. Résultat très officiel du scrutin : un magnifique mur couleur bleu canard des plus contemporaines (voir page 5). Pascale Niard y a placé de petits miroirs et amené une jolie commode qui sert désormais de meuble TV. “Celle-ci dispose de niches où je glisse de petites couvertures polaires dans lesquelles se pelotonnent les enfants. Pour moi, une maison doit être un cocon”. Sur un autre mur sont accrochés des patchworks de photos, souvenirs de fêtes, sorties, vacances… Enfin, dans un coin du salon, la mère SOS, ancienne directrice de centre de vacances et ancienne assistante maternelle, a aménagé un petit “espace jeux”. Les enfants y ont installé une cuisinière dinette, une maison de Barbie, quelques livres, un panier rempli de Lego… (voir page 4). “Même si j’y mets ma touche personnelle, c’est d’abord la maison des enfants, je ne l’oublie jamais”, commente Pascale. En effet, les enfants resteront chez eux alors que les mères SOS et les aides familiales (qui les relaient au bout de trois semaines) peuvent, elles, être amenées à avoir des périodes d’absence, repos, congés, départ en retraite…

 

Des murs porteurs… d’espoirs

petite fille

Bien évidemment, c’est d’abord et surtout l’engagement et le professionnalisme des équipes (mères SOS, éducateurs, psychologues…) qui permettent de répondre aux besoins des enfants accueillis dans les villages d’enfants SOS. Mais cet accompagnement sur un modèle de type familial, en fratrie, bienveillant et sécurisant se fait dans des “murs”. La maison, son agencement, son mobilier, etc. contribuent donc aussi à l’épanouissement des fratries. Sa première mission, si l’on peut dire, est d’être un lieu rassurant pour des enfants déstabilisés par leur placement et souvent fragilisés par des carences éducatives et affectives.

 

C’est d’ailleurs l’un des principaux atouts de l’accueil en maison familiale par rapport à l’accueil en foyer. En effet, dans une vie en collectivité, l’enfant a beaucoup de mal à se soustraire aux regards des autres. Dans la maison et dans sa chambre, il peut être lui-même, rire et pleurer sans gêne, manifester ses peurs ou ses joies sans craindre le jugement du groupe.

 

“J’ai travaillé 18 ans en maison d’enfants à caractère social (MECS) où règne parfois la loi du plus fort, confirme Vincent Douillez, chef de service éducatif au village d’enfants SOS de Calais. Les enfants y sont en représentation permanente et beaucoup surjouent la force pour ne pas se faire écraser. Ils cachent leurs failles, même s’ils rêvent de tendresse”. Cette relation de force est générée par l’organisation même de la MECS en ce qu’elle regroupe le plus souvent les enfants par genre et par âge et non selon les liens familiaux.

 

Jonathan a 33 ans. Soldat de profession, il vit à Calais, pas très loin du village d’enfants SOS où il s’est reconstruit. “Avec mes deux frères et deux sœurs, nous avons découvert notre grande maison en 1995, stupéfaits et heureux”. La fratrie, alors placée en foyer, avait été séparée de ses parents deux ans plus tôt. “Nourriture insuffisante, manque d’hygiène, présence de drogues à la maison… nous étions en danger, évoque Jonathan. J’ai vite trouvé mes marques dans la maison du village SOS. Pouvoir couvrir ma chambre des posters de foot, ma grande passion de l’époque, regarder des matchs à la télé avec les copains… cela n’a l’air de rien mais c’est une manière forte de se découvrir soi-même, d’affirmer sa propre existence”.

 

Une remarque qui ne surprend pas Cindy Colin au village d’enfants SOS de Gémozac. Elle constate que la maison est, pour les enfants, “le premier élément tangible d’un retour à une forme de stabilité et de normalité. C’est un endroit sain, chauffé, où ils ont leur propre chambre, où ils sont à l’abri des dangers… La maison c’est aussi un ensemble de règles pour vivre ensemble et comme les enfants du village SOS se parlent entre eux, ils constatent que ces dernières sont peu ou prou les mêmes partout. Cela leur donne des repères, des codes sociaux, parfois bien différents de ceux qu’ils avaient connus jusqu’alors”.

 

L’arrivée dans leur nouveau lieu de vie peut donc être un énorme soulagement, particulièrement s’ils étaient en foyer ou vivaient avec des parents maltraitants. Mais cela reste toujours une rupture qui nécessite souvent un temps d’adaptation. “Ils ont besoin de s’autoriser à aimer ce lieu, note Vincent Douillez. Ai-je le droit d’être bien dans cet environnement-là ? D’ailleurs, lorsque des enfants sont instantanément très à l’aise, lorsqu’ils envahissent le moindre espace, c’est souvent le signe qu’ils sont très insécurisés ou sans barrières sociales”.

 

S’il faut donc quelques jours pour que les enfants y prennent leurs marques, Cindy Colin constate que “lorsqu’ils s’approprient les lieux en choisissant une couette avec un chaton, des princesses, lorsqu’ils collent des gommettes à paillettes sur leurs meubles… ils nous montrent que l’enfance est toujours en eux. C’est beau à voir mais c’est surtout porteur d’espoir pour leur avenir”.

 

La maison familiale : un modèle qui séduit

L’avenir, pour SOS Villages d’Enfants, c’est de pouvoir proposer à davantage de frères et sœurs ce cadre de vie-là. Les villages d’enfants SOS existent sous deux formes. Celle du lotissement (une dizaine de maisons regroupées sur un site) et celle du village dont les habitations sont disséminées dans un quartier. Les derniers villages ouverts à Gémozac, Beauvais-sur-Matha (Charente-Maritime) et Besse-sur-Issole (Var) ont été construits sous la forme de lotissement. “Mais l’autre modèle n’est pas abandonné, précise François Fléchy, responsable du patrimoine immobilier chez SOS Villages d’Enfants. Il peut en effet répondre à des besoins dans des zones urbaines très denses, comme à Paris, Lyon, Bordeaux où la surface pour créer un lotissement n’existerait pas”.

 

 

Dans tous les cas, les villages d’enfants SOS ont pour point commun de devoir bien s’intégrer sur la commune. “Nous veillons, poursuit le spécialiste, à ce qu’ils ne soient pas des espaces fermés sur eux-mêmes, des espaces de relégation ou des sites dont l’architecture serait visuellement stigmatisante car connotée Protection de l’enfance. Les villages d’enfants SOS et les maisons familiales doivent être aussi ouverts que possible sur ce qu’on appelle les réseaux de proximité qui font société : voisinage, commerce, école, transports”.

 

Une approche qui intéresse plus que jamais les départements, collectivités publiques qui financent la construction des structures d’accueil des enfants confiés par l’Aide sociale à l’enfance. À son poste, François Fléchy est à la fois en charge des villages existants et de ceux qui, demain, sortiront de terre. “Une partie de mon travail consiste à m’assurer que l’architecture, au sens large du terme, est bien au service du projet associatif. Les collectivités locales qui nous missionnent attendent de nous une réponse rapide voire urgente. On le comprend mais nous ne sacrifions jamais la qualité sur l’autel de la rapidité”.

 

Sans être luxueuses, les maisons sont d’un standard souvent supérieur à ce que les enfants ont jusqu’alors connu. “Bien sûr, si la maison est belle à leurs yeux d’enfants, c’est d’abord parce qu’ils s’y sentent bien, remarque Magali Donnadieu au village d’enfants SOS de Digne-les-Bains. Mais pour ceux qui ont connu des conditions d’hébergement dégradées, vivre ici leur apporte un vrai soulagement”.

 

Il peut toutefois arriver que la maison familiale devienne la source d’un conflit de loyauté pour les enfants, autrement dit, que ces derniers soient tiraillés entre leur habitation parentale et celle de SOS Villages d’Enfants. “Lorsque cela se produit, poursuit Magali Donnadieu, c’est presque toujours parce que les parents n’ont pas accepté le placement. Donc ils dénigrent le nouveau lieu de vie de leurs enfants, racontent que s’ils n’avaient pas été séparés, ils vivraient dans une maison plus grande, avec piscine, balançoire et trampoline dans le jardin, etc. C’est irréaliste mais les enfants peuvent être perturbés par ces discours”.

 

L’arrivée de nouveaux enfants dans la maison est une autre source de perturbation possible.

 

“C’est en effet compliqué, confirme Magali Donnadieu, parce que d’un jour à l’autre, ils doivent faire de la place pour d’autres, parfois partager une chambre. Mais ce ne sont pas que des mètres carrés, c’est surtout un espace riche des affections et des complicités également partagées avec la mère SOS et l’aide familiale”. Les éducateurs ont donc un travail à faire pour expliquer l’importance de bien accueillir les nouveaux comme eux l’ont été quelques années plus tôt. Une fois ce travail fait, les enfants n’en sortent que plus forts, plus tolérants et ce qui est au départ une tension devient un élément de leur construction.

 

Pascale Niard se prépare à ce cas de figure car la fratrie des jumeaux devrait bientôt retrouver leur maman. “Les nouveaux vont arriver dans une entité qui est forte, reconnaît-elle. Lorsque les enfants parlent de nous, ils disent : nous sommes la petite famille Bicesse car ici toutes les maisons portent le nom d’un village d’enfants SOS du monde et la nôtre a hérité de celui de cette ville portugaise”.

 

Lieu de vie mais aussi de travail

La particularité d’une maison familiale chez SOS Villages d’Enfants est d’être un lieu de travail pour la mère SOS et l’aide familiale. À ce titre, précise François Fléchy, il faut que l’équipement et le bâti facilitent les tâches de ces professionnels. “J’ai, par exemple, été récemment interpellé par des mères SOS qui m’expliquaient que certains volets s’ouvrent et se ferment de l’extérieur, ce qui leur demande du temps et les éloigne momentanément des enfants. D’ailleurs, si les cuisines des nouveaux villages sont toutes ouvertes sur le salon, c’est pour que les mères SOS puissent toujours avoir un œil sur les enfants”. Le responsable du patrimoine immobilier a aussi été alerté sur le sens d’ouverture de certaines fenêtres qui augmente le risque de se cogner. Cette attention portée aux détails témoigne d’un souci de “bien faire” exemplaire.

 

En tant qu’espace de travail, la maison est amenée à recevoir de nombreuses visites de la part des membres de l’équipe. “Cela ne me pose aucun problème que les éducateurs, la direction, les psychologues entrent dans la maison, assure Pascale Niard. D’ailleurs, les enfants sont non seulement habitués à ces visites mais même les apprécient. Ils les voient comme des marques d’attention à leur égard”.

 

“Pour autant la maison doit rester avant tout un lieu de vie sur le modèle familial… même pour celles et ceux qui y travaillent”, insiste Vincent Douillez. “Elle doit impérativement être incarnée par la mère SOS. Je me souviens d’une éducatrice familiale qui se servait des murs de la cuisine et de l’entrée pour afficher nombre d’informations pratiques, comme les plannings des uns et des autres. S’y ajoutaient des phrases de penseurs, sortes de leçons de morale… C’était sans doute très efficace en matière d’organisation mais cela manquait de chaleur. Bien sûr les mères SOS sont des professionnelles mais elles doivent créer une identité personnelle et mettre de l’affectif dans ce lieu”. Placer des photos de vacances, des dessins dans la cuisine, des posters dans la chambre, fait vivre la maison et lui donne une âme mais cela ne suffit pas. “La chambre des enfants notamment ne doit pas être un lieu détaché de la vie collective, note Vincent Douillez. Si la mère SOS ne vient jamais s’assoir sur le lit pour prendre le temps de discuter, lire une histoire, jouer… cela restera un lieu étranger à elle et cela affaiblira la dynamique familiale”.

 

Dans plusieurs villages d’enfants SOS, certaines maisons sont dédiées à l’accueil d’urgence. Elles ne sont donc pas personnalisées et l’arrivée des enfants n’est pas autant préparée. Et pourtant, pour que ces maisons soient, elles aussi, pleines de vie et de chaleur, il y a un secret tout simple. “Il faut qu’elles sentent bon ! dévoile avec le sourire le chef de service éducatif au village d’enfants SOS de Calais. Lorsque les enfants arrivent, séparés de leurs parents en urgence donc, et qu’ils hument l’odeur d’un poulet rôti, d’un plat de pâtes bolognaises ou d’un gâteau au chocolat, cela crée instantanément une empreinte dans leur esprit et leur envoie un message très fort : bienvenue à vous !”.

 

Tous les professionnels le disent, la maison n’est pas un sujet de conversation des enfants, ni en bien ni en mal. Et c’est une très bonne nouvelle. Cela signifie qu’ils s’y sentent bien et que ces murs les aident à grandir.

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