Étrange printemps que celui-ci, qui marquera longtemps adultes et enfants sidérés qu’un virus injustement affligé d’une couronne, puisse à ce point chambouler la vie de chacun. Dans les villages d’enfants SOS comme ailleurs, on a dû s’adapter au confinement et, globalement, les enfants qui y sont accueillis ont passé cette période sereinement. Dans ce contexte si singulier, ils ont pu compter une fois de plus sur l’implication sans faille des mères SOS qui vivent avec eux. Il faut dire que ces éducatrices familiales n’ont pas peur des défis. Leur quotidien en apparence ordinaire est en réalité celui de l’adaptation permanente, de l’attention soutenue, de la patience au long cours face à des enfants abîmés. Et malgré des situations complexes, parfois tragiques, elles réparent, offrent de nouvelles perspectives à ces adultes en devenir qui s’arriment tant à elles.
“Il y a des enfants pour lesquels on voit assez vite ce que l’on pourra leur apporter. Mais il y a d’autres situations qui semblent tellement inextricables que l’on est plus fébriles au moment de l’accueil. Et puis immanquablement, avec le temps, les choses évoluent et on est surprise soi-même”. Valérie est mère SOS depuis 4 ans, après avoir été aide familiale pendant 2 ans dans le même village d’enfants SOS. C’est avec émotion, qu’elle se remémore le chemin parcouru avec Ethan*qui a aujourd’hui 13 ans. “Lorsqu’il est arrivé à 7 ans, il était suivi par un psychiatre et prenait un traitement pour des troubles du comportement avec agitation et agressivité. Il avait du mal à marcher, à verser un liquide dans un verre, il faisait tout tomber. Et pour s’exprimer, le plus souvent il criait. Il faisait tout pour se faire remarquer y compris en zappant la toilette, ce qui aboutissait à un rejet de toute part”.
“Je savais, poursuit-elle, qu’il fallait d’abord l’accepter tel qu’il était pour le rassurer et ensuite espérer avancer. Chaque matin on répétait les mêmes exercices autour du petit déjeuner : mettre du lait dans un bol, le mettre au micro-ondes, attendre… Et invariablement une partie se retrouvait par terre. Il n’y arrivait pas, il perdait patience, criait. Il fallait prendre sur soi, surtout avec quatre autres enfants autour”. Pour autant Valérie n’a pas lâché, et elle s’y était presque habituée quand un jour, alors qu’il mangeait, il s’est effondré sur la table. “Il était écrasé de larmes. Je suis allée près de lui pour le réconforter et il s’est mis à crier, en colère contre lui-même : «À cause de moi tu fais sans arrêt le ménage, tu ne déjeunes pas, tu es fatiguée, tout ça est de ma faute». Je lui ai dit que ce n’était pas grave, qu’il finirait par y arriver, mais il ne voulait rien entendre.
L’impasse. Puis j’ai tout simplement exprimé mes sentiments en lui disant que je cherchais simplement à le protéger car je l’aimais. Le basculement s’est alors fait : il a compris que prendre soin de lui et de ses frères et sœurs était certes mon travail mais que cela n’empêchait pas que je les aime. Lui comme moi nous sommes délivrés de nos sentiments. Et c’est ce qu’il fallait pour que petit à petit on devienne sa famille de cœur et qu’il progresse à grande vitesse. C’est fou comme on répare avec l’amour, l’attention. Je n’imaginais pas que cela soit possible à ce point”, conclut-elle.
Aimantes et professionnelles à la fois
C’est aussi l’avis de Catherine, mère SOS depuis 6 ans, qui raconte un souvenir du même ordre : “Il y a 3 ans, Léa, qui a aujourd’hui 17 ans, était complètement refermée sur elle-même, elle n’avait pas d’estime de soi, se laissait aller physiquement, s’enlaidissait même… Elle était malmenée par les autres et se mettait souvent en danger… Un jour elle a allumé le four, mis ses doigts à l’intérieur, et refermé la porte sur ses doigts en me regardant droit dans les yeux. J’ai compris que c’était le moment où il fallait trouver les mots. J’ai choisi de laisser parler mon cœur tout simplement : je lui ai dit combien il m’était insupportable qu’elle se fasse du mal, combien je croyais en elle et surtout, confie-t-elle, je lui ai répété « Je tiens à toi » et « Je t’aime»… À partir de ce moment elle a commencé à changer, à s’ouvrir, à s’épanouir. Aujourd’hui on ne la reconnaît pas : elle s’exprime, sourit, prend soin de son apparence. Je suis confiante et je sais qu’elle a repris confiance en l’avenir”.
Bien sûr, les mots d’amour ou les démonstrations d’affection n’expliquent pas à eux seuls les déclics de Léa, d’Ethan ou de tant d’autres. À l’affection que délivrent les mères SOS s’ajoutent bien d’autres ingrédients. Toutes le disent : “On n’a pas de recette miracle”, mais elles puisent dans un ensemble d’outils, de ressources, qui sont le fruit de leur formation, de leur expérience, et surtout de leur engagement passionné.
“Les enfants que nous accueillons ont en commun d’être très carencés en attention, témoigne ainsi Garmia, qui exerce la responsabilité de mère SOS depuis 15 ans. C’est pourquoi en plus de l’affection il faut beaucoup d’écoute”. Ce que confirme Catherine pour laquelle “apporter de la sécurité aux enfants c’est les cajoler, être à leurs côtés nuit et jour, mais aussi les écouter”.
Il faut avoir un plan A, B, C… jusqu’à G si nécessaire
Ce besoin d’écoute se cristallise souvent autour du lien avec les parents, explique pour sa part Nathalie qui travaille dans un autre village d’enfants depuis plus de 13 ans. “On a toutes sortes de comportements à ce sujet, que ce soit lors des premiers temps de l’accueil ou au fil de l’eau : des enfants qui nous rejettent ou se replient sur eux-mêmes car ils veulent être loyaux avec leurs parents et, souvent, ne comprennent pas pourquoi ils ont été placés. La colère est aussi souvent présente après les visites des parents ou en cas d’absence de visite. On en parle, on laisse mijoter, on revient, on dénoue petit à petit”.
“Il n’est pas rare en effet que l’on ramasse les enfants à la petite cuillère quand les visites n’ont pas lieu au dernier moment car le parent est absent, confirme Catherine. Dans ces situations, ils se sentent abandonnés, et on ne trouve pas toujours les mots pour expliquer. Alors on les écoute exprimer leur colère et on essaie de leur redonner confiance, par notre simple présence, notre affection, notre attention”.
Sylvie, autre éducatrice familiale rencontrée, qui exerce depuis 11 ans, témoigne aussi de ces moments compliqués où il faut trouver les ressorts pour consoler de la défaillance des parents : “L’une des fratries que j’accompagne est victime d’un délaissement parental. L’un des garçons, celui qui a 16 ans, va tous les jours à la boîte aux lettres. Il attend un courrier, un signe, quelque chose qui ne vient pas, même quand il essaie de faire réagir ses parents. La psychologue le suit et on le laisse aller au courrier. Moi, j’en discute avec lui autant que possible. Parfois il a envie d’en parler, parfois non. En tout état de cause, dans ces moments il faut mobiliser toutes nos ressources. Souvent, on utilise le petit code que l’on a mis en place avec les enfants : je lui demande à quel niveau se situe son réservoir à câlins. Il est souvent à plat… Alors il se met contre moi et on fait un câlin : parfois il pleure, parfois il rit, on recharge le réservoir”.
Pour Catherine, “dans ces situations de tristesse ou d’angoisse des enfants, il faut aussi faire preuve de créativité pour proposer des activités qui vont faire diversion, changer les idées, et puis faire rire quand c’est possible pour retourner la situation”.
L’humour est le ressort préféré de Brigitte, forte de son expérience de mère SOS depuis 31 ans : “Je joue beaucoup avec ça, chaque jour. On peut dénouer beaucoup de choses, retourner des situations, et supporter plus facilement certaines contraintes de la vie en collectivité”.
Pour Sylvie, “l’important est de ne jamais se décourager : il faut avoir un plan A, puis un plan B puis jusqu’à G si nécessaire pour que les enfants se confient et se sentent bien”. En somme, de la créativité et de la patience.
Tout vient à point à qui sait attendre
La patience, voilà un des maîtres-mots des mères SOS : “Il faut accepter de faire chaque jour des pas de fourmis qui peuvent être mis en difficulté par tel ou tel événement à l’école, avec les parents, ou ici dans le pavillon, explique Nathalie. Cela requiert de notre part beaucoup de souplesse et une bonne capacité d’adaptation en fonction de chaque situation. Nous sommes de véritables caméléons”.
Elle poursuit en racontant une anecdote. “Quand la première fratrie est arrivée au pavillon, les enfants avaient très peu de bases. Le premier repas avait été très significatif. Nous avions mis la table avec le nombre d’assiettes correspondant au nombre de personnes attendues à table. Le plus grand, âgé de 6 ans, s’était étonné qu’il y ait tant d’assiettes et il avait expliqué que chez eux ils mangeaient à plusieurs dans les mêmes assiettes et buvaient dans les mêmes verres… On a mis cela à distance et ils ont tout de suite apprécié avoir chacun leur verre et leur assiette. Pour autant, les premiers temps, leurs chaises étaient collées les unes aux autres, bien serrées autour de la table. C’était étrange, inconfortable et inapproprié pour se restaurer correctement mais j’ai été patiente, j’ai laissé les choses se faire doucement. Puis, peu à peu, les chaises se sont décollées et lorsqu’elles étaient à des distances normales j’ai su qu’ils étaient installés”.
Sylvie se souvient aussi de la patience éprouvante dont elle a dû faire preuve avec sa première fratrie mais qui s’est révélée payante. “Quand les garçons sont arrivés, ils n’étaient pas scolarisés et ne marchaient pas. Ils avaient 1 an, 2 ans, 3 ans et 5 ans. Leur grande sœur, Fiona, 9 ans, avait endossé le rôle de maman et s’occupait d’eux constamment. Elle avait suivi très peu de scolarité, savait à peine écrire, avait un niveau CP à l’âge du CM1. Il fallait donc tout reprendre, tout apprendre. Il a fallu d’abord lui redonner toute sa place d’enfant, de grande sœur, qu’elle apprenne à s’occuper d’elle. C’est pour cela que dans un premier temps on l’a installée dans un pavillon différent de celui de ses frères mais juste à côté pendant deux mois. Ensuite, elle a pu nous rejoindre mais elle était méfiante vis-à-vis des adultes : elle me surveillait, voulait tout faire à ma place. Ça a été dur et long. Au début, quand je lui proposais mon épaule pour se reposer, elle ne la prenait pas. Puis plusieurs mois plus tard, alors que j’étais assise dans le canapé à côté d’elle comme cela arrivait souvent, pour la première fois elle a posé sa tête sur mon épaule. Elle m’a dit « C’est bien », juste cela. J’ai compris qu’enfin elle me faisait confiance. Et dès lors tout a été différent”.
Maintenant Fiona a 20 ans. “Elle a eu son bac. Elle a son propre appartement, très bien tenu, dans lequel elle vit avec son chéri. Elle se débrouille pour l’instant avec des petits jobs mais elle a la tête sur les épaules. Récemment elle m’a appelé pour m’annoncer que son petit ami l’avait demandé en mariage et qu’elle avait accepté. D’abord elle m’a dit : « Bien entendu tu viendras m’aider à choisir ma robe de mariée », mais ce qui m’a fait plaisir, au-delà de sa joie, c’est qu’elle a aussitôt précisé que le mariage n’aurait lieu que dans quatre ans, le temps de trouver un travail stable”. “C’est là, souligne Sylvie, que je mesure le travail accompli au sein du village d’enfants SOS : elle a conscience des choses construites et à préserver”. Parmi elles, le bien-être de ses frères n’a pas été oublié. “Elle vient les voir régulièrement à la maison et a écrit au juge pour les avoir à tour de rôle chez elle le week-end”, explique-t-elle.
Cette disponibilité des mères SOS ne doit pas pour autant se transformer en toute puissance, comme l’explique Nathalie : “ Il est important de savoir se mettre en retrait, de montrer que chacun existe. De ce point de vue l’heure est un outil très important dans la vie du pavillon : c’est elle qui guide, qui organise la vie quotidienne, c’est un repère qui évite de trop laisser de vide car celui-ci est souvent source d’angoisse pour les enfants que nous accueillons. Rassurer un enfant cela passe aussi par un quotidien banal, tout simple mais avec des cadres, des horaires, des rendez-vous à heure fixe pour les repas, les devoirs, la toilette… C’est ainsi qu’on va les apaiser, les ressourcer”.
Conduire ces enfants malmenés vers une vie d’adulte apaisée
En parallèle à cette mission première de réconfort et de sécurisation des enfants, les mères SOS doivent les préparer au mieux à la vie en société et à une vie d’adulte épanouie. Pour Catherine, “le respect, la politesse, l’attention aux autres tout comme à l‘environnement, sont des objectifs importants de l’éducation qu’elle souhaite leur donner”.
Selon Garmia, il est également essentiel de les sensibiliser à la valeur des choses qui nous entourent. “Au village d’enfants SOS on les protège en leur offrant un certain confort matériel et c’est bien car ils en ont besoin quand on les accueille. Mais il faut aussi leur expliquer la valeur des choses, la valeur de l’argent, la nécessité de faire des efforts pour construire sa vie d’adulte…”.
Elle nous confie qu’elle ne manque pas de leur signaler avec un brin d’humour provocateur que ces premières vacances ont eu lieu après son arrivée au village en tant que mère SOS ! Au-delà de la plaisanterie, elle se veut très vigilante sur ce point “car ils n’auront pas toujours le confort du village d’enfants SOS. J’ai vu trop de jeunes partir après leur majorité et se trouver très déstabilisés car ils n’avaient plus de ressources, juste leurs bagages scolaires : c’est important mais pas suffisant”. Parmi eux, une jeune fille qu’elle accompagnait depuis ses 6 ans, et qui est partie récemment. “Au début ça a été très dur. Outre le fait qu’il lui était très difficile de quitter le pavillon, autrement dit sa maison, juste parce qu’elle était majeure, elle n’a obtenu de l’Aide Sociale à l’Enfance qu’une aide jeune majeur de 3 mois. Elle n’avait rien pour vivre et à part nous elle n’avait personne. J’ai fait ce que j’ai pu pour l’aider financièrement avec le soutien de la direction du village d’enfants SOS. Sans cela, et sans sa volonté qui lui ont permis de décrocher des petits boulots, je ne sais pas ce qu’elle serait devenue. Aujourd’hui elle fait des études de droit à Rennes et travaille en parallèle dans un grand magasin de meubles suédois. Elle vit avec son copain et semble épanouie. Cela me rend heureuse”.
Pour Brigitte, la découverte d’autres horizons est également essentielle. “Nous voyageons autant que possible, le week-end notamment. On ne va pas forcément très loin mais on sort, on bouge, on s’ouvre des perspectives en allant vers l’extérieur. Nous allons souvent voir des membres de ma famille ici ou là”.
Des dérapages qu’il faut savoir gérer
Il y a des moments où tout cela ne suffit pas à empêcher les sorties de route des enfants, les actes périlleux où ils se mettent en danger, ce qui est aussi très déstabilisant pour les mères SOS.
Avec le recul l’anecdote n’est pas si grave mais Brigitte se souvient de l’onde de choc qu’elle avait ressentie quand 5 jeunes dont elle s’occupait avaient commis un vol. “J’étais retournée quand je l’ai appris. J’étais blessée, vexée, et je me sentais nulle. Je n’élève pas des enfants pour en faire des voyous. Qu’est-ce que j’avais raté pour qu’ils agissent ainsi ? Je ne parvenais pas à être bien avec eux. Toutes les chambres du pavillon avaient été refaites sauf la mienne où il fallait encore poser la tapisserie : je leur ai dit que je n’étais pas sûre de la finir car je n’étais pas sûre de rester. Pendant 2 jours je les ai laissés dans l’incertitude. Ils étaient inquiets, puis quand j’ai estimé qu’ils avaient compris la portée de leur bêtise, je me suis lancée dans la tapisserie et tous sont venus m’aider sans mot dire et soulagés”. C’est avec tendresse qu’elle ajoute ce détail savoureux : “Leur larcin ? Vous n’allez pas me croire : des antivols pour qu’on ne vole pas leurs vélos !”…
Plus grave, la situation dans laquelle Théo, 14 ans, s’est retrouvé et qui s’est traduite pour sa mère SOS par une blessure qui a mis du temps à se refermer. Garmia raconte : “Ce garçon que j’accueillais avec ses sœurs fuguait régulièrement. C’était toujours la même histoire : lors de mes congés ou repos il prenait le train et partait rejoindre sa maman à Paris. Un jour que j’étais à nouveau en repos il a fait une autre bêtise, celle de trop : il a pris les clés de la voiture du pavillon, embarqué d’autres jeunes du village et fait le tour du quartier, avant de se crasher pour éviter une vielle dame : tout un côté de la voiture était rayé. Il l’a ramenée sur sa place de parking et a tenté de maquiller son forfait, avant d’être obligé face à diverses évidences d’avouer ce qu’il avait fait. Pour le préserver et préserver les autres, il a été déplacé rapidement dans un autre village d’enfants SOS. Quand je suis rentrée il n’était plus là. Cela a été un choc puis une souffrance. J’ai eu du mal à intégrer cette absence durable : j’avais toujours l’impression qu’il allait revenir. Puis dernièrement, à ma grande surprise il m’a téléphoné. Peut-être après avoir parlé avec ses sœurs que j’ai continué à accompagner. Il a maintenant 19 ans. Je l’ai senti apaisé, avec des projets (il veut faire un BTS agronomie). Il voulait me rassurer et me dire que je n’étais pour rien dans tout ce qui s’était passé. Il a ajouté que toutes ses bêtises, il ne les faisait qu’en mon absence pour m’épargner, raconte-t-elle avec tendresse. C’est bête mais cela m’a touchée et m’a beaucoup apaisée aussi”.
Surmonter les épreuves collectivement pour aller de l’avant
Il y a aussi des moments tragiques que nul ne peut anticiper et qui ne laissent personne indemne. Mêmes si elles sont atteintes, les mères SOS doivent puiser au fond d’elles pour les surmonter au plus vite et continuer d’être les amarres dont les enfants ont besoin.
Ainsi, l’été dernier, deux des enfants qui vivent avec Valérie ont perdu leur maman de manière inattendue et brutale. “Cela s’est passé le lendemain de notre retour de vacances avec les enfants, raconte-t-elle. J’avais eu la maman au téléphone pour lui raconter ce que nous avions fait car nous avions tissé de bonnes relations. Elle avait bien compris que la mère SOS ne prenait pas sa place mais une autre place. Il y avait même de la complicité, des conseils mutuels…”. “J’étais alors partie en repos et c’est Laura qui a découvert sa maman. Elle m’a appelé immédiatement, paniquée, hurlant, ne sachant quoi faire. C’était atroce : j’étais loin, impuissante…”.
“Lors de l’enterrement, alors que j’avais voulu me tenir en retrait, les enfants comme le papa ont tenu à ce que je sois à leurs côtés et même que j’écrive un mot qui accompagnerait le cercueil. J’étais presque surprise qu’ils m’associent ainsi à leur deuil. Dans ce malheur, une autre histoire possible s’est écrite”, ajoute-t-elle pudiquement.
Cependant, deux mois plus tard Valérie a eu le contrecoup. “Je me suis écroulée, littéralement : mon corps ne répondait plus, j’étais comme une poupée de chiffon, tout simplement vidée d’avoir tant puisé les semaines précédentes pour soutenir les enfants dans cette épreuve. J’ai donc été arrêtée pour me reposer mais je m’inquiétais, je ne voulais surtout pas qu’ils pensent que c’était à cause d’eux”. “Finalement je suis revenue différente, beaucoup plus forte. Et en fait, après coup, j’ai réalisé que durant cette période de vulnérabilité, difficile pour moi, ce sont eux qui m’ont rassurée et soutenue”.
Les coups de fatigue, les baisses de moral, toutes confient y être confrontées et pas nécessairement dans des moments dramatiques. “Les ados peuvent être tumultueux et épuisants. Nous ressentons parfois de la peine quand ils souffrent ou se mettent à mal, on peut aussi ressentir du découragement, avoir des nuits d’insomnies où l’on se dit « Je n’aurais pas dû dire ceci ou faire cela»”, avoue Nathalie.“On peut avoir des coups de pompe aussi car ils prennent de l’énergie. Nous sommes des tuteurs psychiques, explique-t-elle, et les enfants s’arriment littéralement, physiquement à nous. C’est particulièrement visible quand je rentre de repos : ils se collent à moi, se reposent sur moi”.
Toutes soulignent la place essentielle de l’équipe du village d’enfants SOS dans ces circonstances. Pour Nathalie, “il nous faut ne jamais perdre de vue notre condition de professionnelle pour reprendre les rênes, ne pas hésiter à se tourner vers l’équipe pour prendre du recul”. “Quand on a des doutes, besoin d’un soutien il y a toujours quelqu’un pour nous aider”, complète Sylvie.
Nathalie ou encore Catherine ne cachent pas que le recours au psychologue du village d’enfants SOS, d’abord destiné aux enfants, peut aussi être utile pour évoquer leur propre ressenti “quand on est envahie émotionnellement par certaines histoires” ou “qu’elles appuient sur notre propre histoire”. Oui, conviennent-elles, la vie en village d’enfants SOS, est une vie particulière, exigeante, qui demande beaucoup d’énergie et d’investissement, peu compatibles avec une vie sociale ou amoureuse très accomplie. “C’est un peu un sacerdoce”, reconnaissent-elles, même si certaines ont des enfants qui vivent aussi dans le pavillon, ou d’autres un mari comme Valérie avec lequel elle forme un “couple éducatif”.
Se plaindre ? Certainement pas. Elles sont unanimement très attachées à leur métier “tellement gratifiant quand on voit combien les enfants s’en sortent, et tellement passionnant avec tout ce que l’on apprend, y compris sur nous”.
Le cercle vertueux des liens
Et toutes se réjouissent d’avoir construit une “grande famille” selon les mots de Brigitte, dans laquelle les enfants SOS d’aujourd’hui et d’hier, les enfants, petits-enfants et autres proches se mélangent joyeusement, avec des liens qui perdurent le plus souvent durablement. Ces liens qui durent ne sont pas nécessairement liés à la durée du placement mais aussi à la qualité de ce que les mères SOS apportent aux enfants. Ainsi, Brigitte raconte-t-elle “qu’il y a quelque temps elle a reçu un coup de téléphone inattendu du papa d’une jeune femme qu’elle avait accueillie plus jeune durant quelques mois”. La jeune femme venait d’accoucher et avait choisi de le faire à Calais plutôt qu’à Saint-Omer pourtant plus proche de son domicile… À la maternité elle a ainsi expliqué son choix à Brigitte : “C’est ici avec toi que j’ai passé les meilleurs mois de ma vie”, en lui rappelant qu’elle était restée 9 mois au village d’enfants SOS. Une précision dont la portée symbolique n’échappera à personne et qui a profondément ému la mère SOS.
Valérie rapporte à son tour un épisode qui en dit long sur les dynamiques vertueuses qui naissent dans les pavillons : “Un jour nous avions un désaccord avec David, mon mari, sur un sujet secondaire nous concernant mais dont nous parlions avec passion. Les enfants ont eu peur et spontanément les cinq se sont approchés et se sont mis en rond autour de nous, chacun essayant d’apporter sa solution. C’était tellement surprenant qu’on a tous éclaté de rire. Mais après, on a réalisé que nos petits bouts qui avaient pourtant souvent testé notre solidité en nous mettant à l’épreuve, cette fois-ci, avaient eu très peur que l’harmonie ne se brise. Et donc pour la contenir ils avaient spontanément et avec leurs seules armes, eux-mêmes, formé autour de nous un cercle protecteur”. CQFD.
* Les prénoms des enfants ont été changés. Pour les mêmes raisons d’anonymisation, seuls les prénoms des mères SOS sont mentionnés.
………………………………………………………………………………………………..
La vie dans les villages d’enfants SOS au temps du coronavirus
Les villages d’enfants SOS n’ont évidemment pas échappé aux difficultés liées au Covid-19. Malgré de multiples précautions et l’application des gestes barrières bien avant le confinement quelques enfants et jeunes majeurs accompagnés par l’association ont été directement touchés par le virus. La plupart sont guéris ou leur état n’inspire aucune inquiétude.
Soucieux que chaque enfant se sente plus que jamais protégé et accompagné par des liens solides, les villages ont fait face à la crise avec sérénité et sang-froid en s’appuyant sur chaque professionnel, mobilisé, fut-ce par téléphone quand le confinement ne permettait pas une autre présence. Ce sont ainsi 300 mères SOS et aides-familiales qui étaient mobilisées et 300 autres professionnels : psychologues, éducateurs, animateurs, secrétaires, directeurs, … Et quand du côté des équipes les arrêts maladie ont augmenté en raison de cas de Covid-19 ou d’arrêts préventifs dans certaines situations à risques, la solidarité s’est encore renforcée avec par exemple des mères SOS choisissant de renoncer aux congés et repos prévus dans le cadre de leur fonction pour demeurer auprès des enfants, ou encore d’autres professionnels sortant de leur rôle habituel pour soulager tel autre collègue.
Ainsi au quotidien le confinement a pu s’organiser dans de bonnes conditions et a été plutôt bien vécu par les enfants et les mères SOS. Les droits de visite et d’hébergement des parents des enfants accueillis ont été suspendus, mais le lien parental a été maintenu, dans la mesure du possible, par d’autres modes de communication : skype, snapchat, etc. Par ailleurs les psychologues des villages d’enfants SOS sont restés mobilisés et ont adapté leurs interventions, par exemple autour d’une promenade ou lors d’échanges par téléphone.
“Paradoxalement, explique Sylvie, mère SOS, j’ai trouvé les enfants assez cool durant cette période, notamment parce qu’il n’y avait pas la pression du matin lorsqu’on les secoue pour partir à l’école. Ce qui n’empêche pas qu’on ait beaucoup travaillé ! ajoute-t-elle. Heureusement l’association nous avait fourni des tablettes pour chaque enfant et nous étions aidés par des éducateurs ou des jeunes en service civique pour pouvoir assurer tous les devoirs en même temps”. “Quand le confinement s’est prolongé début avril, il y a bien eu des petits énervements, raconte Nathalie, autre mère SOS, mais notre village étant doté d’un jardin commun, chaque pavillon, à tour de rôle, pouvait faire sortir les enfants au grand air durant une heure le matin et une heure l’après-midi”.
Pour parer aux moindres sorties et à l’absence des copains les mères SOS ont aussi proposé de nouvelles activités. “Ainsi, raconte Sylvie, chaque jour un des enfants du pavillon était responsable de la préparation du goûter : de la lecture de la recette, du mélange des ingrédients, jusqu’au nettoyage et rangement du plan de travail. Seul le four était de ma responsabilité, précise-t-elle. On s’est beaucoup amusés et mine de rien on a travaillé la lecture et des notions comme les unités de mesure”. Autre activité proposée dans le pavillon de Sylvie comme dans d’autres d’ailleurs : l’atelier couture de masques. “Chaque enfant a dessiné son masque, puis à partir de tissus récupérés d’anciens vêtements ou de vieux draps nous avons découpé puis cousu nos masques. L’occasion, à travers une activité ludique, de parler tranquillement du Covid-19, de relativiser les informations entendues ici ou là et donc de rassurer les enfants. L’occasion aussi d’apprendre aux enfants que l’on peut recycler des tas de choses sans passer obligatoirement par un acte d’achat”.
Les enfants ont aussi fait preuve de solidarité durant cette période. Dans les villages de Marly ou de Beauvais-sur-Matha ils ont avec beaucoup de créativité réalisé d’imposants dessins et écrit de beaux messages de soutien à la craie sur les trottoirs à destination du corps médical, des éboueurs, des professionnels du village… Au village d’enfants SOS de Gémozac, ils ont aussi réalisé des dessins et écrit des mots de soutien aux résidents de L’EHPAD de Gémozac, qui ont été déposés dans leur boîte aux lettres. Un bel exemple de solidarité intergénérationnelle que SOS Villages d’Enfants est soucieuse d’entretenir dans ses villages.