Séparé de parents négligents et violents à l’âge de 6 ans, Julien est aujourd’hui le maître d’œuvre de son destin.
Comme tous les midis, cette cafétéria d’Ancenis-Saint-Géréon connaît son “coup de feu”. En salle, en caisse, en cuisine, plus d’une trentaine d’employés veillent à satisfaire les clients. Julien Babin, 20 ans, est l’un des trois adjoints de direction qui supervisent les équipes. “Ma vie aujourd’hui, c’est d’abord beaucoup de travail !, lance cet ancien enfant du village d’enfants SOS de Sainte-Luce-sur-Loire. Je suis quelqu’un de motivé et j’ai toujours aimé avoir des responsabilités”. Le jeune homme reconnaît toutefois qu’il a longtemps eu des difficultés à s’affirmer. “Sans doute l’une des conséquences de mon enfance pas comme les autres… Mon investissement professionnel est aussi un moyen de tourner la page”.
Julien est l’aîné d’une fratrie de trois. Sa sœur est née un an et demi après lui ; son frère, trois ans après. Les enfants ont été retirés à leurs parents fin 2004. Les relations du couple étaient alors très conflictuelles. Leur père buvait beaucoup, les négligences éducatives étaient nombreuses et un climat de violence régnait. “Je n’ai pas vraiment de souvenirs, précise Julien Babin. Ce que j’en sais (le suivi par des assistantes sociales, les maltraitances, la visite des gendarmes…) je l’ai lu dans mon dossier”.
Les enfants sont d’abord envoyés au Centre départemental Enfance Familles de Saint-Sébastien-sur-Loire. Les grands, qui sont séparés du petit, demandent souvent à le voir. “Sa pouponnière n’était qu’à 500 mètres de notre foyer mais nos contacts étaient rares”.
Ce 24 octobre 2005 (Julien a fêté ses 6 ans trois semaines plus tôt), la fratrie est conduite au village d’enfants SOS. Là encore, Julien n’a pas d’autre souvenir que celui des retrouvailles heureuses avec son frère. Les petits vivront successivement avec deux mères SOS : Nathalie puis Geneviève.
“Petit, j’étais turbulent, raconte Julien. Sans doute étais-je perturbé par les échanges compliqués avec ma mère que je voyais lors de visites médiatisées. Elle n’avait pas de logement fixe, a même vécu dans la rue quelque temps, avait des problèmes personnels lourds et a cessé de venir nous voir pendant plusieurs mois…” À l’adolescence, Julien coupera les ponts. Son père, décédé en 2006 dans des conditions que le jeune homme connaît mal, reste un inconnu.
Le jeune homme a longtemps mal vécu le fait d’être un enfant placé, cachant cette particularité même à ses plus proches amis. “J’ai gagné en maturité et cette histoire, aujourd’hui, je l’assume. Lorsque je peux aider quelqu’un dans une situation similaire, je tends toujours la main”. Une attention à l’autre que Julien porte en lui depuis longtemps, puisqu’il fut le représentant des plus de 14 ans du village d’enfants SOS de Sainte-Luce-sur-Loire, puis membre de l’Espace National de Consultation des Jeunes (ENCJ), à Paris.
MITONNER SON AVENIR
Bon élève au collège, c’est au lycée que Julien s’épanouit dans la voie qu’il a choisie : celle d’un bac professionnel cuisine. “J’ai toujours aimé cuisiner, raconte-t-il. Tout gamin, j’avais beaucoup de plaisir à faire un simple gâteau au yaourt”. Un plaisir que sa mère SOS a cultivé, elle-même adorant passer du temps derrière les fourneaux. Ce début de parcours professionnel fut cependant chamboulé. Après avoir entamé un BTS en apprentissage, Julien travailla pendant 6 mois comme serveur dans un restaurant de Disneyland, puis dans un établissement où le patron était tyrannique. “Il insultait ses apprentis, en harcelait certains, tenait des propos choquants… J’ai fait un abandon de poste, tout comme une autre apprentie, d’ailleurs”.
Terriblement déçu par cette expérience, Julien décide de s’engager dans l’armée. “J’ai pris l’uniforme le jour de mes 19 ans ! Un contrat de 8 mois en poche, j’ai commencé une formation pour devenir sous-officier avec l’objectif d’être au service d’un général”. Mais rapidement, la jeune recrue déchante. Le seul débouché offert est celui des cuisines collectives. Julien préfèrera retourner à la vie civile et, à force de ténacité, décrochera le poste à responsabilité qu’il occupe aujourd’hui.
S’il a quitté le village d’enfants SOS à 17 ans et demi, Julien est resté proche de sa mère SOS et de plusieurs membres de l’équipe. “Avec le temps, Geneviève n’est pas devenue ma mère de substitution mais une amie avec laquelle j’ai eu – et garde encore – beaucoup de complicités. Si je devais résumer ce que le village m’a le plus apporté, c’est… beaucoup de joie”.
La fratrie, quant à elle, a connu des jours meilleurs. Julien est resté proche de sa sœur mais a des relations compliquées avec son frère depuis son passage sous les drapeaux.
Échaudé par deux expériences de vie de couple décevantes, Julien avoue que fonder une famille n’est pas sa priorité.
“Pour l’instant, je préfère réussir professionnellement que sentimentalement. Mais j’ai la certitude de ne pas reproduire les comportements de mes parents, alors, fonder un jour une famille, pourquoi pas… ? Les équipes du village d’enfants SOS de Sainte-Luce-sur-Loire m’ont permis de me construire. Je me sens serein et confiant”.
Julien est aujourd’hui l’un des deux représentants des jeunes au conseil d’administration de SOS Villages d’Enfants.