Les éducatrices familiales sont les piliers de SOS Villages d’Enfants. Si elles ont toutes des histoires différentes, elles se ressemblent pourtant dans leur engagement professionnel et personnel sans faille au profit des enfants. La Fête des Mères nous offre l’occasion de mettre à l’honneur ces femmes d’exception que sont les “mères SOS”.
Nelly Rolland se souvient encore des premiers jours qui ont suivi l’arrivée de Jérémie(1). Elle était alors mère SOS dans le village d’enfants SOS de Sainte-Luce-sur-Loire depuis deux ans. Jérémie, déjà très grand, allait sur ses 14 ans. “Mais l’âge, quand on a vécu des choses difficiles, cela ne veut pas dire grand-chose”, souligne Nelly. Très vite, le jeune homme était venu vérifier auprès de sa nouvelle protectrice s’il avait encore “droit aux câlins”. “Dès les premiers jours, ce grand pré-adolescent venait régulièrement s’installer sur mes genoux, sourit tendrement l’éducatrice familiale. Pour des yeux extérieurs, la scène de ce jeune géant sur la petite femme que je suis semblait sans doute incongrue, déplacée peut-être. Mais au nom de quoi aurait-il été trop âgé pour la tendresse ? Ce simple geste lui a apporté la moitié de la confiance en lui – et la confiance dans les autres – qu’il avait tant besoin de retrouver”. Cette marque d’affection habituellement réservée aux plus petits a cessé d’ailleurs après quelques semaines.
Éducatrices familiales, ou mères SOS comme on les appelle plus tendrement, est un métier unique qui demande un engagement personnel réel (voir ci-contre l’interview d’Anne-Sophie Gerin, responsable du recrutement). “Moi, je suis tombée dans le chaudron quand j’étais petite”, s’esclaffe Nelly Rolland. Âgée de 61 ans, l’éducatrice familiale travaille au village d’enfants SOS de Sainte-Luce depuis 15 ans. “Je suis l’aînée d’une fratrie de dix enfants, poursuit-elle. Toute petite, je savais ce que materner signifiait et j’ai toujours eu la conviction que c’était dans l’univers de l’enfance que je trouverai ma place”.
Nelly Rolland a travaillé comme assistante maternelle de jour puis dans une école avant devenir “famille d’accueil”. “C’est cette expérience qui m’a décidée à rejoindre SOS Villages d’Enfants, explique-t-elle. Nous avons accueilli pendant 5 ans Chloé, âgée de deux ans et demi à son arrivée. Elle était alors séparée de ses deux grands frères placés, quant à eux, auprès de deux autres familles. Or, cette petite ne cessait de me demander pourquoi elle n’était pas avec eux et… je ne savais pas quoi lui répondre ! Ayant connu la richesse qu’apporte une fratrie, ce manque que pointait Chloé était, pour moi aussi, un déchirement”.
C’est aussi une même volonté d’apporter le meilleur aux enfants mis à l’abri d’un environnement familial dangereux qui a conduit Dalila Jean, 58 ans, à rejoindre le village d’enfants SOS de Châteaudun. Elle y est éducatrice familiale depuis 2009. “Dans ma vie d’adulte, j’ai côtoyé des gens qui ont connu le placement, explique cette mère et grand-mère de deux petits-enfants à la fibre sociale affirmée. J’ai vu leur parcours du combattant pour trouver leur place dans la société, j’ai vu les lacunes du système de l’Aide sociale à l’enfance. J’ai toujours trouvé insensé que notre société n’offre pas aux jeunes victimes de maltraitances les moyens d’accéder aux mêmes chances que tout autre enfant”. C’est par un reportage télévisé en 2008 que Dalila découvre l’existence des villages d’enfants SOS. Elle se souvient alors d’avoir lancé à son époux : “C’est cela que je veux faire, c’est exactement ça !”. “Je crois que les mères SOS ont des parcours de vie qui les amènent peut-être plus que d’autres à se soucier des autres et à faire preuve d’empathie”, complète-t-elle.
On le sait, dans les autres modes de placement des enfants, les notions d’attachement, d’affection, d’amour sont souvent abordées avec circonspection voire réticence. SOS Villages d’Enfants défend au contraire l’idée que la construction d’un enfant – et plus encore sa reconstruction s’il a été victime de maltraitances – passe par la création de liens d’attachement forts avec des adultes référents.
“C’est la spécificité du métier de mère SOS, insiste Dalila Jean. Bien sûr, l’aspect éducatif est nécessaire, bien sûr, il faut leur donner un toit, à manger, des soins… Mais, sans la dimension affective, ces enfants n’iront jamais vraiment mieux”.
Ces liens d’attachement sont d’abord informels. Il s’agit pour la mère SOS d’épauler les enfants dans leurs peines, de partager leurs joies et de les soutenir dans leurs efforts.
S’attacher pour grandir
Dans sa maison familiale, Nelly Rolland a pris soin de conserver au moins un souvenir personnel de chacun des enfants dont elle a eu la charge. “Ils sont éparpillés dans les pièces et le jardin, précise-t-elle. J’ai eu des poteries avec mon prénom, d’autres couvertes de cœurs. J’ai un superbe tableau en mosaïque et des tas de dessins conservés dans un carton…”.
Dalila Jean, elle, a précieusement déposé dans sa chambre le petit album photo que lui a confectionné Alice, 23 ans. Elle a vécu 10 années avec elle, dont quelques-unes très compliquées. “Moi qui suis très attachée à l’école, je me suis retrouvée avec une adolescente fugueuse, faisant le show à l’école, intenable…”. Mais l’empathie et l’attention de la mère SOS ont fini par payer. Alice s’est reprise et est aujourd’hui éducatrice en Maison d’Enfants à Caractère Social. Restée très proche de son ancienne éducatrice familiale, c’est chez elle qu’elle vient déjeuner chaque dimanche sans jamais oublier d’apporter des fleurs, tant elle sait que Dalila les apprécie. “Le week-end dernier, ce furent deux superbes roses rouges, précise l’éducatrice familiale encore ravie. L’album de photos que m’a confectionné Alice n’est pas bien grand, il n’a rien de tape-à-l’œil, mais je sais qu’elle a choisi avec soin chacun des clichés qui y sont collés. Ceux-ci lui rappellent des moments heureux de son enfance alors bien sûr ce geste me touche énormément”.
La manifestation de l’attachement entre les mères SOS et les enfants prend parfois des tours encore plus inattendus. Ainsi Nelly Rolland a-t-elle été surnommée Nenene par l’une des premières petites qu’elle a accueillies. “Et pendant des années, complète Nelly, ce surnom fut à l’usage exclusif des enfants de la maison familiale. Personne d’autre dans le village SOS n’avait le droit de l’utiliser, sinon gare ! C’était pour eux une manière de marquer une forme d’appropriation affective très forte”.
Si cette marque d’attachement est joyeuse, d’autres le sont moins. Nelly Rolland se souvient de la petite Jane, 7 ans, terriblement angoissée lorsqu’elle voyait l’éducatrice familiale quitter la maison familiale pour sa semaine de repos mensuel. “Et si jamais tu ne reviens pas ? l’interrogeait-elle. Et si jamais tu as un accident ? Et si jamais tu meurs…”
Bien souvent, pour une éducatrice familiale, ces liens d’attachement consistent avant tout à faire preuve de compréhension, de patience, voire de ténacité lorsque ces enfants s’entêtent à prendre le mauvais chemin. “Je suis arrivée au village d’enfants SOS de Sainte-Luce le 31 mai 2005, raconte Olivia, 23 ans. J’ai longtemps été une petite fille adorable puis, en 2011, j’ai… dégringolé. Je suis devenue agressive avec tout le monde, y compris Nelly et son compagnon. Mais elle ne m’a pas abandonnée, pas rejetée… Elle m’a remise dans le droit chemin. Aimer c’est aussi savoir recadrer quand les comportements dérapent”. La jeune femme est restée très proche de celle qu’elle considère “presque comme sa mère” et il ne se passe pas une semaine sans qu’elles se voient ou se téléphonent. “Je peux tout lui dire, assure Olivia qui vient d’avoir un enfant. Elle connaît mon caractère, mes forces, comprend mes doutes… C’est mon pilier”.
Car, évidemment, lorsque l’attachement est fort, les liens perdurent au-delà du départ des enfants. “Un jour, raconte Nelly, Jérémie s’est étonné devant moi : ‘Mais Nelly, avec nous tu fais du bénévolat !’, m’a-t-il lancé. Je lui ai rétorqué que cela n’était évidemment pas le cas, que j’avais plaisir à les revoir, les écouter… En fait, dès que je suis devenue mère SOS, il était évident pour moi que je conserverais des liens avec ceux qui le souhaiteraient. Comment, sinon, aurais-je pu leur dire que je les aimais mais que cet amour avait une date de fin ? Je suis maman, grand-mère, et je ne comble aucun manque avec les enfants du village SOS mais je ne veux pas les priver ni me priver de ces liens”.
Plusieurs manières de dire “je t’aime”
On le comprend, les relations sont souvent très fortes entre certains enfants et leurs éducatrices familiales. Mais ces dernières sont d’abord des professionnelles. Elles ne remplacent pas les parents, quel que soit le passé de ces derniers, et se doivent donc de construire et d’établir une juste posture affective qui n’est évidemment pas la même selon les enfants.
“Je suis très attachée à eux mais je ne serai jamais leur maman de secours”, confirme Sylvie Delplanque, 49 ans, éducatrice familiale au village d’enfants SOS de Neuville-Saint-Rémy depuis 2015. Elle a découvert SOS Villages d’Enfants grâce à l’une de ses propres filles dont une amie d’école vivait au village d’enfants SOS de Neuville-Saint-Rémy. Sylvie était alors professeure d’arts appliqués et travailla ensuite comme aide médico-psychologique dans un institut pour enfants et adultes handicapés avant de postuler à SOS Villages d’Enfants. “Je ne suis pas arrivée là en ‘sauveuse du monde’ remplie d’illusions, explique-t-elle. Ma seule ambition est de donner à ces enfants une chance de connaître une vie la plus apaisée possible. Et je ne leur impose jamais mon affection d’autant que certains ont connu l’inceste. Il faut donc, dans ce contexte, être extrêmement prudent dans les manifestations de tendresse à leur égard”. C’est essentiel pour que les liens d’attachement que les enfants vont développer soient vrais, souhaités et sincères.
Sylvie Delplanque ajoute que tous les enfants n’ont pas la même manière de dire “je t’aime”. “Quand certains vous sautent au cou, d’autres vont… bouder ! Et c’est à moi de comprendre qu’il ne fait pas juste la tête mais qu’il a besoin de moi, de mon soutien, de mon écoute…”. L’éducatrice familiale se dit aussi très touchée de voir que les petits constatent parfois sa fatigue. “Sylvie, ce soir, tu te coucheras tôt’, me lancent-ils alors en reprenant mes propres mots ! C’est tout simple, mais cela montre aussi à quel point je compte pour eux”.
Toutes les éducatrices familiales sont unanimes pour dire qu’il n’y a pas de recette universelle pour créer ces liens qui aident tant les enfants à grandir. C’est à elles de s’adapter à chaque cas.
“Il y a quelques années, j’ai accueilli une fratrie de trois sœurs, raconte Dalila Jean. Leur histoire familiale est particulièrement lourde et les filles sont arrivées mutiques à la maison. Avec les grandes, le lien affectif reste d’ailleurs très ténu mais pas avec Léa, la plus petite, qui a aujourd’hui 11 ans. Chaque matin à son réveil, son plaisir est de mettre ses jambes autour de mes hanches, d’agripper mon cou et de nicher son visage dans mon cou pour respirer mon odeur puis je l’amène jusqu’au salon. On ne porte plus les enfants de 11 ans, me dit-on parfois, ce n’est pas ‘normal’. Mais pourquoi faudrait-il mettre les enfants dans des cases ? Léa a encore besoin de ces câlins, alors je lui donne. C’est ça aussi, c’est ça surtout, être une mère SOS”.
- Les prénoms des enfants ont été changés
Trois questions à :
Anne-Sophie Gerin, responsable du recrutement à la Direction des Ressources Humaines de SOS Villages d’Enfants
Qui sont les postulantes au poste d’éducatrice familiale ?
Il n’existe pas de profils types. Quelques-unes ont déjà travaillé avec les enfants, d’autres ont exercé des professions intellectuelles, certaines sont mamans, pas toutes… Nous recevons beaucoup de candidatures spontanées de personnes ayant découvert ce métier sur notre site Internet. D’autres nous arrivent via Pôle Emploi, les sites des métiers du secteur social et nos réseaux sociaux sur lesquels nous publions nos offres. Nous n’exigeons pas de diplômes particuliers mais un niveau BEP ou CAP. La seule obligation est de détenir le permis de conduire. La sélection des candidates est néanmoins pointue. Après examen de leurs CV et lettres de motivation, les candidates retenues sont d’abord contactées par téléphone. Un premier échange qui est l’occasion d’insister sur l’investissement personnel qu’elles auront à engager car il y a souvent un peu d’idéalisation du métier. Et certaines confondent éducatrice familiale et éducatrice spécialisée salariée aux 35 h !
Quel est le processus de recrutement ?
Celles qui répondent à ces premiers critères (motivation, engagement, permis, disponibilité…) sont invitées à participer à une réunion d’information collective qui se déroule soit au siège parisien de SOS Villages d’Enfants soit dans l’un de nos villages SOS. Nous leur présentons le fonctionnement et l’organisation de notre structure et, par un film, des témoignages de mères SOS. La réunion s’achève avec des entretiens individuels. L’étape suivante est une période d’observation d’une semaine organisée au sein d’un village d’enfants SOS. Ce sont des jours essentiels pendant lesquels elles voient le fonctionnement du village, le quotidien d’une maison familiale et rencontrent un maximum d’interlocuteurs. Des entretiens avec une psychologue sont, dans le même temps, organisés. Un second séjour d’observation d’une semaine est organisé dans un autre village pour les postulantes au poste d’éducatrice familiale (les aides familiales ne font qu’un séjour). L’an passé nous avons reçu 2 600 candidatures, 445 postulantes ont été reçues au cours de l’une des 54 journées d’informations organisées, 180 périodes d’observation ont été organisées pour finalement contractualiser l’embauche en CDI de 75 (chiffre à valider) éducatrices ou aides familiales.
Quelles sont les qualités nécessaires ?
Il faut bien sûr savoir travailler en équipe mais aussi être en capacité de créer des liens affectifs avec ces enfants. Elles doivent avoir un excellent sens de l’organisation, de la disponibilité et un grand sens de l’adaptation aux différentes situations de vie qui vont se présenter.
Nos candidates doivent savoir prendre du recul par rapport à ce qu’elles vont vivre car les enfants peuvent manifester leurs blessures par des comportements violents, des mots blessants, du rejet, de l’isolement… C’est psychologiquement éprouvant pour des femmes qui donnent le meilleur d’elles-mêmes. Même si elles sont très soutenues par l’équipe du village d’enfants SOS, il leur faut savoir réagir sereinement, avoir une excellente maîtrise d’elles-mêmes, comprendre que ce ne sont pas elles qui sont en cause. Enfin, il leur faut être en capacité d’accompagner l’évolution et les apprentissages (scolarité, ouverture au monde, socialisation…) d’enfants qui peuvent arriver dans les villages d’enfants SOS à tout âge. Bien sûr à leur arrivée elles n’ont pas toutes les mêmes compétences. Nous les accompagnons donc par un système de tutorat et l’organisation de formations initiales et continues. C’est le plus beau métier du monde, mais c’est aussi un métier difficile.