Renforcer les familles, protéger les enfants

Protéger les enfants en soutenant sa famille : voilà comment résumer l’objectif des programmes de renforcement de la famille (PRF) déployés par SOS Villages d’Enfants en France et dans le monde.

La Convention internationale des droits de l’enfant est claire : un enfant ne doit pas être séparé de ses parents, sauf si les autorités compétentes estiment que c’est nécessaire pour sa protection et dans son intérêt supérieur. Lorsque cette séparation s’impose, il est essentiel que l’enfant soit accueilli dans un cadre qui respecte ses besoins et son histoire. Ce double impératif guide les actions de SOS Villages d’Enfants en France et dans le monde.

Dans certaines situations, avec un peu d’aide au bon moment, on peut éviter qu’une séparation n’ait lieu. C’est tout le sens des programmes de renforcement des familles (PRF) que développe SOS Villages d’Enfants, en France comme à l’international avec ses associations partenaires. Ces programmes n’ont pas vocation à accueillir les enfants, mais à accompagner les familles en difficulté, à leur domicile, pour que les enfants puissent continuer à grandir auprès d’eux. Ces programmes élaborés en lien avec les États, les départements ou les partenaires locaux s’adaptent aux contextes spécifiques de chaque pays. Les spécificités d’une famille vivant en France ne sont pas celles d’une famille au Togo ou au Bénin. Néanmoins, partout dans le monde, les professionnels des PRF partagent un même objectif : améliorer le quotidien des enfants en s’appuyant sur les forces déjà présentes chez les parents et sur leur envie de construire un avenir meilleur pour leur famille. Partout, notre boussole reste la même : l’intérêt supérieur de l’enfant, comme le souligne Rémy Meurant, responsable du PRF dans le nord de la France.

Les programmes de renforcement des familles regroupent sous une même appellation des actions diversifiées. En France, le PRF s’inscrit dans le dispositif de prévention et de protection de l’enfance et concourt à aider les responsables légaux à exercer pleinement leurs responsabilités parentales. À l’international, ces programmes s’appuient plus largement sur trois piliers  : l’appui à la parentalité, l’accès à la santé et à l’école et l’appui des communautés.

En France, agir en amont pour prévenir les situations à risque

Avec près de 70 ans d’expérience dans la protection de l’enfance, notre association met maintenant son savoir-faire au service de la prévention. Grâce à l’expérience acquise dans l’accompagnement des fratries et le soutien des parents, nos équipes ont développé une solide expertise en matière de parentalité. Cela leur permet d’accompagner les familles dont les liens sont fragilisés.

Le programme de renforcement des familles de SOS Villages d’Enfants a ouvert en 2017 dans le Nord. Aujourd’hui, ce sont 77 familles qui sont suivies, soit environ 130 enfants. Ces accompagnements sont mis en place pour protéger les enfants et leur permettre de grandir le plus sereinement possible dans un environnement stable.

Pour cela, les professionnels des PRF se rendent directement dans les familles. Ils accompagnent les parents pour les aider à repérer certains comportements qui peuvent poser un problème, et les encouragent à adopter des attitudes positives qui favorisent le développement et l’épanouissement de leurs enfants.  La moitié des familles concernées est volontaire pour y prendre part. Dans les autres cas, cet accompagnement est imposé par la justice. « Nous apportons à ces familles un soutien psychologique et éducatif pour les aider à se remettre en mouvement », explique Emmanuelle Flomet, psychologue clinicienne du programme.

Les douze éducateurs, dont quatre ont des compétences spécifiques sur l’accompagnement des plus petits, interviennent deux fois par semaine au domicile des familles. Ils sont notamment présents lors de moments clés du quotidien : repas, devoirs, lever ou coucher des enfants… Ce soutien dure de six mois à un an, une période pendant laquelle différents professionnels vont accompagner la famille : éducateurs de jeunes enfants, éducateurs spécialisés, conseillers en économie sociale familiale, etc. À chaque fois, les professionnels adaptent leur accompagnement aux besoins spécifiques de chaque enfant.

« Toutes les familles aidées ont vécu des traumatismes importants dans leur enfance, ajoute Rémy Meurant, chef de service au PRF Nord. Dans leur vie de parents, cela se traduit par des négligences, des incapacités à apporter une sécurité affective à leurs enfants, ou encore par des comportements violents dont ils ne réalisent pas toujours la gravité. Ils ne savent pas comment bien prendre soin de leur enfant, souvent parce que leur propre histoire a été traumatique. Par exemple, un parent qui ne sait pas laver son enfant a parfois lui-même été victime d’abus durant ce type de moment dans son enfance. »

Ces familles ont souvent perdu confiance en leurs capacités parentales, après avoir vécu des situations difficiles avec les services sociaux. L’équipe des PRF s’attache justement à reconstruire cette confiance, en valorisant les compétences existantes. Comme le souligne le chef de service, les parents ne sont pas seulement accompagnés : ils sont pleinement acteurs de leur propre parcours et des changements qu’ils mettent en place.

Accompagner les tout-petits

En 2020, l’équipe du PRF a mis en place de nouvelles méthodes d’accompagnement spécialement pensées pour les tout-petits, de la naissance à 3 ans. Cette initiative s’inscrit dans la dynamique nationale autour des 1 000 premiers jours de l’enfant, portée notamment par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, qui rappelle que “les premières années de la vie sont celles où l’on construit les fondations de la sécurité affective.” « L’arrivée d’un enfant est souvent un moment de réactivation des troubles vécus dans leur enfance pour ces parents, commente Rémy Meurant. Nos actions viennent les soutenir pour que cette étape dans leur vie ne se transforme pas en épreuves. Pour cela nous nous appuyons sur nos trois éducatrices de jeunes enfants aidées d’une auxiliaire puéricultrice, ainsi que sur nos deux psychologues. »

Pour aider toutes ces familles — jeunes parents ou non — les psychologues utilisent notamment deux outils : le génogramme (1) et la ligne de vie (2). « Ces outils aident les familles à mieux comprendre les blessures du passé, parfois transmises de génération en génération, et à avancer pour les dépasser. », explique Emmanuelle Flomet. Ces temps d’échange construits sur mesure pour chaque parent avec la psychologue et l’éducateur référent, permettent à chacun de mieux comprendre son histoire familiale et la place qu’il y occupe. « L’objectif est que chaque membre de la famille puisse se réapproprier son vécu et qu’au final, la famille dans son ensemble se perçoive différemment et parle d’elle-même autrement, plus positivement. C’est une condition essentielle pour éviter les phénomènes fréquents de répétition des traumatismes, des négligences ou des maltraitances. » Ce travail psychologique avec les parents va leur permettre de se rendre plus disponibles psychiquement pour leurs enfants, et ainsi créer et développer le lien et la sécurité affective dont ils ont besoin.

Un accompagnement au plus près des familles

Pour toutes leurs interventions, les professionnels disposent aussi depuis plusieurs années d’un véhicule qu’ils appellent le «  Camping-CARE » (care = “soin” en anglais) qui leur permet de se rendre auprès des familles plutôt que de les contraindre à se déplacer dans les bureaux des professionnels. « Grâce à ce bureau thérapeutique mobile, qui va à la rencontre des familles, le rôle du psychologue devient plus accessible, plus proche et moins impressionnant », commente Rémy Meurant. Le véhicule permet aussi d’organiser des « road trips », au cours desquels les éducateurs et les psychologues se rendent avec les familles sur des lieux importants de leur vie : maternité, première école, première nourrice… « Cela permet de faire remonter des souvenirs traumatiques enfouis, en mobilisant tous les sens. Ces souvenirs peuvent être à l’origine de difficultés dans le rôle de parent. Une fois identifiés, ils peuvent être travaillés avec l’accompagnement des professionnels  », détaille Emmanuelle Flomet.

Renforcer les familles dans le monde : une réponse durable pour protéger les enfants

En France, les programmes de renforcement des familles (PRF) s’inscrivent dans le cadre des mesures de prévention et de protection de l’enfance. Ils permettent de protéger les enfants sans les éloigner de leur famille. Ils consistent en une intervention éducative menée auprès des parents et de l’enfant par des professionnels spécialisés. À l’international, ils aident les parents à renforcer leurs compétences pour offrir à leurs enfants un cadre de vie stable et bienveillant. Cela passe par un accompagnement adapté à ces familles vulnérables, et un soutien concret au quotidien. Néanmoins, en plus de cet appui fourni afin de renforcer les compétences éducatives des parents, deux autres piliers viennent compléter ces programmes : garantir l’accès à l’éducation pour chaque enfant et s’appuyer sur les communautés locales pour construire des solutions durables.

Au Togo, l’association met en place des formations pour sensibiliser les parents aux droits de l’enfant et renforcer leurs compétences parentales. Ces formations conduisent souvent à une prise de conscience chez les parents, qui transforment leur manière d’exercer la parentalité et de gérer leur foyer.

« Avant, je n’avais pas une bonne compréhension de la vie de couple et de l’éducation des enfants. Je reconnais que j’étais un mari et un papa trop dur. Je ne permettais pas à ma femme d’exercer une activité » témoigne Koffi Guedje. Ce père de famille de 39 ans vit au Togo avec ses quatre enfants et son épouse.

Jusqu’alors, le couple ne savait ni comment diversifier ses sources de revenus, ni comment bien gérer les ressources du foyer. «  Nous manquions d’objectifs pour nous-mêmes et pour nos enfants ; on vivait au jour le jour, dans la pauvreté. » Grâce au PRF, sa femme a lancer un petit commerce de vente de sel. Koffi raconte que cette initiative a transformé la vie de toute la famille. « Nous avons suivi des formations sur la communication dans la famille, la participation des enfants aux prises de décisions, l’importance des relations égalitaires au sein du foyer… Ces nouvelles connaissances m’ont aidé à améliorer mon comportement. » Au Togo, les PRF ont accompagné 769 familles vulnérables, comme celle de Koffi, apportant ainsi espoir et changement durable à 2 874 enfants et jeunes.

Au Togo comme au Bénin, les équipes de SOS Villages d’Enfants s’investissent chaque jour auprès des familles en situation de vulnérabilité. Albert Djidohokpin, coordinateur de programmes, précise que l’accompagnement peut prendre des formes variées comme le développement des compétences parentales sur des sujets comme l’hygiène, la santé, la nutrition, la connaissance des droits des enfants entre autres ou un soutien psychologique lorsque les épreuves de la vie ont entraîné des traumatismes. « Les formations nous ont permis de renforcer nos compétences parentales notamment sur l’éducation à la sexualité, la gestion des émotions, l’estime de soi ou encore le développement des enfants et des adolescents. Ces apprentissages nous aident à mieux accompagner nos enfants et à prévenir les difficultés qui pourront survenir au cours de l’enfance ou de l’adolescence », complète Rachelle Ezin, participante au PRF du village d’enfants SOS de Dassa-Zoumè. Mis en place en 2004, le PRF du Bénin a déjà soutenu 435 familles, soit 2 780 enfants. « Les familles que nous soutenons vivent des situations difficiles, précise Albert Djidohokpin. Il s’agit de familles où l’un des parents, voire les deux, est décédé, où les adultes sont malades, sans emploi, et peinent à donner trois repas par jour à leurs enfants… »

« Ma vie a basculé le jour où j’ai perdu mon mari. Après sa mort, tout est devenu difficile. Je n’arrivais plus à payer la scolarité de mes cinq enfants ni leurs soins de santé. J’étais perdue, sans repères », raconte Brigitte N’Kana. Accompagnée pendant six ans, elle affirme que ce soutien a été « une véritable lumière » dans la vie de sa famille.

Une réalité que l’on retrouve aussi à Madagascar. « Ces familles sont particulièrement vulnérables ; certaines sont proches du sans-abrisme et toutes risquent, à terme, de ne plus pouvoir prendre en charge leurs enfants  », confirme Setra Victor Randriamanana, chef de service pour l’association sur l’île. « Le premier objectif est donc d’éviter les abandons, en leur garantissant l’accès aux services sociaux de base  : nutrition, soins, éducation, mais aussi documents administratifs », complète Rija Rajaonarison, responsable de la qualité des programmes.

L’accès à l’école, un droit pour grandir

Ces situations d’extrême pauvreté ont des conséquences directes sur le respect des droits des enfants au sein des familles. Ces parents n’ont parfois pas assez d’argent pour offrir plus d’un repas par jour à leurs enfants. Ils peuvent être obligés de retirer leurs enfants de l’école et de les faire travailler pour aider la famille.

« En 2022, sur 87 enfants accompagnés, 35 n’allaient pas à l’école parce que les parents n’avaient pas les moyens de payer les frais de scolarité », se souvient Rija Rajaonarison. Au Bénin, l’école est gratuite, mais Albert Djidohokpin constate que, l’association doit souvent payer les fournitures pour que les enfants puissent étudier. « En 2018, j’envisageais de retirer mes ainés de l’école pour qu’ils travaillent dans les champs  », raconte Brigitte N’Kana, pas peu fière d’ajouter qu’aujourd’hui, son fils Israël a obtenu son CAP au lycée technique industriel. « Je prévois de financer sa scolarité l’année prochaine pour qu’il poursuive ses études. Son grand frère, Hippolyte, est parti il y a trois mois en Guinée équatoriale, après avoir obtenu un emploi. »

Pour favoriser la scolarisation des enfants, l’un des leviers essentiels des programmes de renforcement des familles est d’améliorer les revenus du foyer. Cela passe par la création d’activités génératrices de revenus (AGR). Les familles sont soutenues grâce à des formations, un soutien financier, du matériel ou encore l’accès au microcrédit… « J’ai appris à fabriquer du savon et j’ai reçu 50  000 francs CFA (environ 75 €) pour démarrer, se souvient Brigitte N’Kana. « On m’a aussi formée à la gestion de mon budget, à faire des tontines (des crédits entre pairs, N.D.L.R.). Grâce à ma bonne gestion, j’ai pu agrandir mon activité. Aujourd’hui, je tiens un petit commerce qui marche bien. Je vends des graines d’arachide, du ciment au kilo, de l’huile végétale… Maintenant, mes enfants mangent trois repas par jour et reçoivent les soins nécessaires. Je suis fière.  »

Au Togo, Manzoulmani Egbam, 40 ans, couturière, a pour sa part été formée à la gestion d’une petite entreprise et participe aux groupements villageois d’épargne et de Crédit (GVEC). « Avant l’arrivée du projet, notre situation était difficile. Mon mari est malade et handicapé, et je n’arrivais pas à subvenir aux besoins de la famille ni à scolariser et à soigner nos deux filles. Grâce au GVEC, j’ai pu développer mes activités agricoles et d’élevage domestique. » Elle retient aussi sa formation sur les droits des enfants, l’autonomie des femmes et la participation. Très engagée, elle est aujourd’hui membre active du du Parlement des femmes et du Comité de protection des enfants. Elle a contribué à l’élaboration de leurs plans d’action. « Mon engagement a conduit les autres membres du Parlement des femmes du Parlement des femmes à m’élire “Femme Leader” en 2023 et, aujourd’hui, je suis la présidente du Comité de protection des enfants dans notre village. »

L’appui sur la communauté, autre pilier central des PRF

« Sans le travail avec les communautés, notre action serait bien moins efficace », explique Albert Djidohokpin. « Dans chaque commune, une quinzaine de communautés sont concernées. Les familles que nous accompagnons font partie de ces communautés. Les équipes interviennent pour suppléer l’État et pour mettre en place des filets sociaux. » Concrètement, cela peut se traduire par la création de salles de classe ou la mise en place de services de santé en partenariat avec les autorités locales ou nationales.

La sensibilisation aux droits des enfants est également menée auprès des communautés, afin de renforcer les mécanismes de protection des enfants. Au Togo, Issifou Ali-Bidjowe souligne que les PRF viennent renforcer les systèmes de soutien social existants, pour construire une réponse locale durable aux besoins des enfants vulnérables et de leur familles. Comme le rappellent les responsables malgaches, « si la communauté n’est pas protectrice, le renforcement des familles que nous mettons en place ne tiendra pas, une fois l’accompagnement de SOS Villages d’Enfants terminé. »

Qu’ils soient déployés en France ou à l’international, les programmes de renforcement des familles (PRF) partagent une même conviction : chaque parent, s’il est soutenu avec respect et bienveillance, peut devenir le premier protecteur de son enfant. En agissant au plus près des réalités familiales, en valorisant les ressources existantes, en renforçant les compétences parentales, économiques et psychosociales, les PRF contribuent à prévenir les séparations évitables, à restaurer la confiance et à construire des environnements stables et sécurisants pour les enfants. Ce travail, mené main dans la main avec les communautés et les institutions, permet de briser les cycles de vulnérabilité et d’ouvrir des perspectives durables. Car protéger un enfant, c’est aussi croire en la capacité de sa famille à se reconstruire et à lui offrir un avenir.