Dans les villages SOS, se reconstruire au contact de la nature et des autres 

Au sein des villages SOS, accompagner les enfants vers un avenir plus serein passe aussi par une attention particulière portée à l’environnement, en écho au droit à vivre dans un environnement sain.

SOS Villages d’Enfants déploie une démarche RSO (responsabilité sociétale des organisations) qui favorise un mode de vie attentif à la nature et à la qualité des liens aux autres. Bien manger, prendre soin de soi, s’éveiller à la nature et à l’importance de la protéger : autant d’habitudes qui s’apprennent et se partagent dès le plus jeune âge. Pour des enfants ayant vécu des traumatismes, ces gestes du quotidien sont aussi l’occasion de se sentir utiles, de retrouver la confiance et de se reconstruire en lien avec la nature. 

Camille
14 ans

J’aimerais savoir que mon futur sera encore fait d’arbres et de grands espaces naturels, pouvoir montrer à mes propres enfants la diversité de la faune et de la flore.

Comme Camille, de nombreux enfants et jeunes de nos villages ont été interrogés par la Dynamique pour les droits des enfants sur les causes sociétales qui leur tiennent à cœur. Près de 700 jeunes ont livré leurs pensées, leurs peurs, leurs espoirs. Pour eux, les enjeux autour de la protection environnementale et animale arrivent en deuxième position de leurs préoccupations après « l’éducation, les loisirs et la culture ». Cette inquiétude légitime s’explique notamment par le rôle qu’ils savent qu’ils auront à jouer pour la planète. Comme l’exprime Lélia, 16 ans, « les enfants se voient attribuer de plus en plus de responsabilités, notamment avec les changements climatiques où on dit que ce sera aux jeunes d’agir ». Une remarque qui en dit long sur la conscience qu’ils ont de leur rôle à venir, mais aussi sur leur envie d’être soutenus par les adultes dans cette transition. Ces enfants et ces jeunes veulent croire en un avenir plus respectueux du vivant, mais expriment une crainte de porter seuls cette responsabilité.  

Permettre à chaque enfant de grandir dans un environnement sain est au cœur des engagements de SOS Villages d’Enfants. De la construction d’un village à la vie quotidienne dans les maisons familiales, l’association a une responsabilité à jouer pour que l’impact de ses actions sur l’environnement et sur la qualité de vie des enfants et des professionnels soit le plus vertueux possible. C’est pourquoi, en 2023, elle s’est engagée dans une démarche de responsabilité sociétale des organisations (RSO). « La RSO est la contribution volontaire des organisations au développement durable, explique Clara Mallet, responsable projet. Elle inclut des réflexions sur la qualité de vie au travail, la diversité et l’inclusion, les droits des enfants, la libre expression… Et la dimension environnementale y est fondamentale. Nous accueillons des enfants au quotidien, sur un mode d’accueil familial, nous les logeons, les nourrissons, nous nous déplaçons avec eux… Autrement dit nous avons les mêmes impacts environnementaux qu’une famille ordinaire. Nous nous devons d’agir pour limiter autant que possible notre impact avec, en plus, une attention singulière à ce que nos actions pour l’environnement constituent un véritable étayage pour chacun des enfants dans sa construction personnelle et la reconnaissance de ses droits. » 

L’association porte ses efforts sur des sujets aussi différents que les énergies (électricité, gaz, eau), les déplacements des professionnels et des enfants, les achats de meubles et de vêtements, ou encore sur la question de l’artificialisation des sols pour en limiter les impacts lors de la construction de nouveaux villages. « Être plus vertueux passe aussi par de petites choses, ajoute la responsable, comme chauffer moins l’hiver, choisir, pour les nombreux goûters des enfants, des aliments sans suremballage ou supprimer les couverts à usage unique lors de nos événements festifs. » De bonnes pratiques qui, pour certaines, sont déjà en place dans les villages d’enfants SOS et que la RSO vient structurer et encourager. « Nous voulons mettre en place une dynamique collective et positive à laquelle les enfants participent au quotidien, précise Clara Mallet. Il faut que prendre soin de la planète devienne une évidence, un réflexe, pas une contrainte ou une punition ! »  

Au sein des villages SOS, les enfants ne sont pas seulement sensibilisés à l’écologie et à l’environnement, ils sont eux-mêmes acteurs du changement. Sous l’impulsion des professionnels, des projets en lien avec l’environnement sont mis en place avec les enfants, pensés comme principaux participants et bénéficiaires. Ces initiatives permettent aux enfants de se sentir impliqués et valorisés, renforcent leur confiance en eux, et leur donnent l’occasion de contribuer à un monde plus respectueux de l’environnement. « Nous avons lancé cette démarche RSO car nous savons que nous devons participer activement à la préservation de l’environnement, mais surtout car nous sommes convaincus que cela participe au bien-être des enfants de grandir dans un environnement sain et respectueux de l’environnement. Les projets développés autour de ces enjeux, dans les villages, sont de vrais leviers pour donner envie aux enfants de s’impliquer et de construire un monde dans lequel ils se sentent bien », explique Isabelle Moret, directrice générale. 

Gem’océan : comprendre pour changer

Lancé en 2023 au village SOS de Gémozac, Gem’Océan est un projet de sensibilisation des enfants à la biodiversité. Mattéo, 12 ans, nous explique que « Gem’Océan, c’est un groupe d’enfants qui ont envie de protéger la Terre et de mieux comprendre l’écologie ». Naïma, 13 ans, complète en nous disant que « c’est aussi pour comprendre le dérèglement climatique et ce qu’on peut faire ».  

En effet, le projet Gem’Océan offre à sept enfants, âgés de 12 à 15 ans, l’opportunité de faire chaque année deux voyages de découverte des richesses naturelles maritimes, et de participer à des activités nautiques, à des ateliers de sensibilisation et à des rencontres avec des biologistes ou des militants écologistes. À travers ces expériences immersives, les enfants découvrent que, tout comme les écosystèmes qui peuvent se régénérer et s’adapter, ils portent aussi en eux une capacité à se reconstruire et à évoluer face à ce qu’ils ont vécu.  

Au fil des rencontres, ces sept enfants ont développé un statut d’« ambassadeurs » au sein du village. À charge pour eux de partager leurs nouvelles connaissances auprès des autres enfants et des adultes du village. « J’étais déjà un peu intéressée par l’écologie avant, mais beaucoup plus depuis que je participe à Gem’Océan, confirme Naïma. Quand on allait à la plage, je voyais les déchets, cela me faisait réfléchir. Aujourd’hui, je comprends mieux les choses. Je sais pourquoi il y a moins de poissons dans l’eau. » Avant même de rejoindre le projet, Mattéo voulait agir pour la planète. « Petit, mon rêve, c’était d’aspirer tous les déchets avec un aspirateur géant et de les envoyer dans l’espace ! », nous confie-t-il.  

Gem’Océan est né d’un rapprochement du village d’enfants SOS avec l’association Under the Pole. Basée à Concarneau, cette dernière est un programme d’exploration sous-marine, construit autour de missions de recherche scientifique et de sensibilisation. Les enfants ont eu la chance de pénétrer dans la capsule créée par l’association afin d’observer les fonds marins. Cette expérience leur a permis de ressentir le lien profond qui unit l’être humain à la nature, et de découvrir un monde bien plus vaste que celui qu’ils connaissent. 

Depuis, les rencontres et les découvertes  se succèdent, au grand plaisir des enfants. Lors d’un séjour à Marseille avec les acteurs du Hublot, un espace de découverte de la mer, les enfants ont par exemple découvert l’herbier de posidonies. Cette plante des fonds côtiers, aux grandes capacités de stockage de carbone, est menacée par l’activité humaine. « Les scientifiques essaient de réparer cet herbier, notamment par l’immersion de récifs artificiels en béton armé, explique Geoffray Mirande, aide familial qui porte cette initiative avec Morgane Lauret, animatrice et art-thérapeute. C’est un exemple de régénération – abîmé par l’Homme, mais réparé par l’Homme – qui fait écho au parcours de résilience des enfants. »  

Au-delà des actions menées, l’essence de Gem’Océan est de donner des clés aux enfants pour comprendre et agir au quotidien. « Nous avons besoin de véritablement comprendre ce qui se joue pour la nature et l’environnement pour ne pas passer à côté de nos responsabilités. Trier les déchets, c’est bien, mais s’il n’y a pas de réflexion sur la production en amont, c’est peu utile », précise Morgane Lauret. Une réflexion qui est entrée dans la culture commune du village de Gémozac. « Une expression est désormais utilisée pour qualifier quelque chose qui est fait, mais n’est pas très respectueux de l’environnement, comme imprimer un e-mail pour rien. Lorsque cela arrive, il y a alors souvent quelqu’un pour lancer : “Ça, ce n’est pas très Gem’Océan ! ” », illustre Geoffray Mirande. 

Un message bien compris aussi par Mattéo et Naïma. « J’essaie d’utiliser moins d’eau et d’éteindre un peu plus les lumières. Les autres jeunes enfants jettent leurs papiers par terre et moi, je les ramasse pour les mettre à la poubelle », dit le premier. « Pareil pour moi, ajoute la seconde, qui assure trier les déchets pour que cela aille vers le recyclage, pour refabriquer autre chose à partir de ces matériaux-là. » Les deux jeunes savent que leurs gestes ont aussi un impact sur leur entourage. « Normalement, on dit qu’il faut suivre l’exemple des plus grands, mais pour l’instant, c’est nous qui donnons l’exemple aux adultes », conclut Naïma avec le sourire. Au fil des sessions, c’est un véritable changement personnel que vivent Naïma et Mattéo, qui acquièrent, à travers leur rôle d’ambassadeurs, des compétences nouvelles et tous les jours plus de confiance en eux. 

Bien manger pour bien grandir   

Le droit à vivre dans un environnement sain passe aussi par la qualité de ce qui se trouve dans nos assiettes. En mars 2025, SOS Villages d’Enfants a lancé le programme Bien manger pour bien grandir. Ses objectifs sont de favoriser une démarche responsable de consommation, de développer l’éducation à la nutrition et de faciliter l’accès à une alimentation saine et équilibrée pour les enfants et les adultes des villages (issue de l’agriculture biologique ou raisonnée, privilégiant les circuits courts, respectant les saisons, moins carnée). 

Le programme a été construit, après consultation des éducateurs familiaux et des aides familiaux, afin de recueillir leurs besoins en la matière. « Le principal frein mis en avant était budgétaire. Manger bio, plus sain, avec moins de produits transformés, coûte, en effet, un peu plus cher », explique Valérie Bonazzi, directrice territoriale Est, qui a initié la démarche. Pour accompagner ce virage, SOS Villages d’Enfants a donc décidé de compléter le budget familial pour l’achat de ces produits alimentaires vertueux à hauteur de 25 € par semaine et par maison familiale. « Les modalités d’utilisation de cette enveloppe vont varier selon les villages, poursuit la directrice. Dans certains cas, des accords directs sont passés avec des producteurs présents sur les marchés locaux. Dans d’autres villages, les producteurs pourront venir proposer leurs produits directement aux mères et aux pères SOS. Ailleurs, l’argent sera utilisé pour acheter des fruits et des légumes bio en supermarché… » 

Le village d’enfants SOS de Jarville a par exemple noué un partenariat avec une association présente localement : LORTIE. Celle-ci livre chaque semaine au village d’enfants des paniers alimentaires contenant des fruits, des légumes et des œufs, ainsi que des recettes. Chaque panier apporte son lot de surprises pour les maisons du village. Il n’est pas rare d’entendre des éclats de rire lorsque les enfants découvrent un légume avec une « drôle de tête » qu’ils n’avaient encore jamais vu. Mais très vite, la curiosité laisse place à la gourmandise, surtout lorsque ce drôle de légume devient un délicieux plat cuisiné avec amour par leur mère ou leur père SOS. « C’est une excellente façon de découvrir d’autres manières de manger », se réjouit Nathalie Sohier, aide familiale du village. Surnommée « Madame Bio » par les enfants, Nathalie partage sur l’intranet de SOS Villages d’Enfants des conseils pour introduire des habitudes alimentaires plus saines au quotidien. On trouve aussi sur ce site des idées de menus et de recettes, de quoi créer des listes de courses personnalisées, les calendriers des fruits et des légumes de saison et des jeux éducatifs pour comprendre l’origine des aliments et leur transformation. 

La professionnelle le sait : changer ses habitudes alimentaires suscite des appréhensions qui vont au-delà de la dimension financière (manque de temps, de compétences culinaires, crainte que les enfants ne mangent pas). « Notre mission, c’est aussi de garantir aux enfants que nous accueillons une bonne santé, rappelle-t-elle. Bien manger est la base du développement harmonieux d’un enfant, mais c’est aussi lui donner des armes pour, demain, vieillir avec un peu moins de “pépins”. » Le programme Bien manger pour bien grandir entend mobiliser tous les professionnels des villages et les enfants eux-mêmes pour faire de l’alimentation un support d’éducation, de dialogue et de stabilité pour les enfants. En apprenant à mieux connaître ce qu’ils mangent, ces derniers vont développer une forme de sécurité et se créer de nouveaux repères rassurants.  

Pour Nathalie Sohier et Valérie Bonazzi, cette découverte d’une nourriture saine et respectueuse de l’environnement doit se faire en douceur. « Nuggets, burgers, confiseries… aucun aliment ne doit être interdit, sinon, c’est l’échec assuré, avancent-elles. Les enfants accueillis dans les villages SOS ont déjà leur lot d’épreuves à surmonter. À nous de leur apprendre comment sont produits les aliments, de leur apprendre à goûter, à savourer et, finalement, à être à l’écoute de leur corps… »  

Certains ont déjà bien perçu les enjeux. Tina, 13 ans, vit au village d’enfants SOS de Jarville depuis 10 ans. La jeune fille a déjà remarqué que « les légumes du marché ont plus de goût que ceux des grands magasins ». On pourrait sourire en l’entendant dire que son plat préféré est la tartiflette, mais elle ajoute dans la foulée qu’elle prend aussi plaisir à manger des légumes. «  Ça m’arrive même d’en réclamer ! Mes préférés, ce sont les artichauts, les tomates et les haricots. » Elle explique aimer cuisiner. «  Je fais de la tarte aux légumes avec des tomates, des courgettes, des poivrons, un peu d’oignon… C’est une recette de ma mère SOS. Les autres enfants ne font pas beaucoup attention à la nourriture, mais comme ils aiment bien ma tarte, cela me fait plaisir. » Ce que nous raconte Tina fait écho à la vie quotidienne dans de nombreux villages SOS, où de jeunes chefs en herbe partagent des moments chaleureux avec leur mère ou leur père SOS, apprenant à transformer les fruits et les légumes en plats réconfortants qui apportent une touche de douceur à leur quotidien. «  Grâce à Nathalie, j’ai un peu changé mes habitudes. Le matin, je prends du lait ou juste de l’eau à la place d’une boisson sucrée. Et puis je mange moins de bonbons, de chips. C’est bon pour moi et pour la planète », complète-t-elle fièrement. 

Un potager pour solidifier ses racines 

Au village d’enfants SOS de Cusset, Yann Groleau partage l’idée que pour grandir en confiance, rien de mieux que de prendre soin de la terre et de semer des graines, aussi bien pour le jardin que pour soi. Aide familial, il a rejoint l’association en avril 2024. Ancien maraîcher de métier, il sourit en se rappelant : « J’ai ça dans le sang ! Je me souviens qu’à cinq ans déjà, je jardinais avec mon grand-père et que cela me faisait un bien fou. »  

Membre actif d’une association de passionnés de jardinage, Yann a rejoint le village d’enfants les bras chargés de semis de tomates, de poivrons, d’aubergines… « Je savais que le projet “De la graine à l’assiette” aurait tout son sens ici. Pour un enfant, peu importe son âge, voir une graine germer, repiquer un plant, soigner et, bien plus tard, récolter les fruits de son travail entre forcément en résonance avec son propre parcours. » 

Selon l’éducateur, les enfants du village n’expriment pas plus d’écoanxiété que les autres enfants de leur âge. « Mais je suppose que cette angoisse de l’avenir alimente leurs autres traumatismes. Ces enfants sont carencés, en manque de repères, mais en jardinant, ils récupèrent un peu de force pour affronter la vie. Parce que jardiner, ce n’est pas du discours ou des projets, c’est du concret ; mettre les mains dans la terre, c’est se reconnecter à soi, c’est faire le plein d’énergie. » Meilleure compréhension de la nature, respect du vivant, apprentissage de la patience, fierté d’avoir produit quelque chose de bon, partage de connaissances, coopération… autant d’acquis précieux qui nourrissent, en effet, le développement et la confiance en soi.   

Le potager de Cusset fait environ 200 m2. Le sol étant pauvre, de nombreuses cultures poussent sur des bottes de foin. L’année 2024, marquée par une météo très pluvieuse, n’a pas permis des récoltes abondantes, ce qui n’a pas freiné l’enthousiasme des six enfants qui participent avec régularité au potager. «  C’est très important de planter des légumes, car on peut manger de bonnes choses, et maintenant que j’ai appris, je saurai le faire quand je serai grande », commente Manuella, 13 ans. « Les légumes, c’est bon pour la santé, ajoute Séraphin, 12 ans. J’aime être dans la nature et le jardin. Je voudrais planter des graines cette année pour ensuite manger de la ratatouille. » 

L’enthousiasme des enfants contribue au développement du projet et permet également de nouer des liens avec les voisins. Une pépinière et une serre seront bientôt installées au sein du village et attireront sans doute la curiosité des riverains. « Je proposerai des visites, j’expliquerai comment vit un sol. Il faut retrouver le sens de la nature ; c’est le monde de demain pour ces enfants. En prendre soin, c’est prendre soin d’eux. »