En Arménie, les villages d’enfants SOS innovent aussi - SOS Villages d'Enfants

En Arménie, les villages d’enfants SOS innovent aussi

Qu’ils vivent à nos portes ou au bout du monde, les enfants ont les mêmes besoins de sécurité, de soins et d’attention. SOS Villages d’Enfants est présente en Arménie depuis 21 ans et l’association française lui apporte depuis plus de 12 ans un soutien crucial. À l’occasion de la récente transformation d’un de ses deux villages d’enfants SOS, nous vous emmenons en Arménie.

 

Arménie

 

“Non, je ne veux pas inviter mes camarades de classe à mon anniversaire !”.

 

Ce jour-là, Mariam, alors âgée d’une dizaine d’années, a peur. Peur du regard des autres adolescents sur sa nouvelle vie dans le village d’enfants SOS de Kotayk, dans le centre de l’Arménie. “Mais Mère Anna a insisté et m’a rassurée, se souvient la jeune femme d’aujourd’hui 26 ans. Tout ira bien me disait-elle. Elle avait raison, la journée fut merveilleuse. C’est l’un de mes plus beaux souvenirs”.

 

Mariam, ses deux sœurs et son frère étaient arrivés quelques mois plus tôt. “Nous pensions devoir aller dans un orphelinat, avec ses immenses dortoirs… Je me souviens de notre surprise en découvrant de vraies maisons. Quand nous sommes arrivés chez nous, Mère Anna nous attendait, le repas était prêt. Je me souviens de la table… comme elle était belle ! Et ce jour-là, j’ai mangé de la pizza pour la première fois de ma vie”.  

Le drame du tremblement de terre de 1988

Le 7 décembre 1988, à 11 h 41, un séisme de 6,9 sur l’échelle de Richter dévaste la région de Spitak. La faille de 20 km causera la mort de 25 000 personnes, en blessera des milliers d’autres et fera de nombreux orphelins. “C’est ce drame qui sera à l’origine de la création de l’association arménienne”, explique Matthieu de Bénazé, directeur des programmes internationaux à SOS Villages d’Enfants France.

 

SOS Villages d’Enfants Arménie compte deux villages d’enfants SOS, l’un à Idjevan, l’autre à Kotayk, deux foyers pour jeunes adultes à Erevan, la capitale et a mis en place trois Programmes de Renforcement de la Famille (voir encadré).

 

Le village d’enfants SOS d’Idjevan a été créé il y a 10 ans. Il est composé de 14 logements répartis sur 5 petits bâtiments qui ne comptent pas plus de 4 appartements. Deux appartements sont dédiés à l’accueil d’urgence. “Il accueille actuellement 76 enfants, précise Matthieu de Bénazé. Il est très agréable, bien intégré dans sa commune et ses infrastructures sont tout à fait satisfaisantes”.

 

Le village d’enfants SOS de Kotayk est plus ancien, puisque bâti en 1990 au lendemain du tremblement de terre. 76 enfants y vivent actuellement. Il fut initialement constitué de 14 maisons familiales d’accueil de long terme uniquement mais le site vient de faire l’objet d’un vaste programme de transformation baptisé Ré-innovation. “Après 30 années d’activité, des rénovations s’imposaient, explique Davit Avanesyan, directeur des programmes de SOS Villages d’Enfants Arménie. Il nous fallait aussi et surtout adapter nos services aux besoins actuels qui ne sont plus ceux identifiés après le drame de 1988”. À l’issue d’un vaste chantier, deux maisons familiales accueillent dé­sormais les enfants sur le court terme (de six mois à un an) et le jardin d’enfants (école maternelle) que gérait SOS Villages d’Enfants a été transformé en centre éducatif de jour.

 

Celui-ci permet à 75 enfants âgés de trois à huit ans de suivre des activités d’éveil, culturelles, sociales, caritatives, linguistiques, sportives… Enfin, deux autres maisons ont été réaménagées pour permettre l’hébergement de mamans isolées avec leurs enfants. “Les équipes locales avaient, en effet, constaté un nombre croissant de mamans à la rue, explique Matthieu de Bénazé. La situation économique du pays contraint de nombreux maris à partir travailler en Russie. Parfois, il s’agit juste de travaux saisonniers mais certains y trouvent un emploi pérenne et finissent par y refaire leur vie. Malheureusement, il est culturellement très compliqué pour les femmes d’exposer sur la place publique qu’elles ont été victimes d’abandon de famille…”.

 

Les mamans entrent dans ces maisons équipées de 4 chambres, d’une cuisine commune et deux salles de bain pour six mois renouvelables. “Outre l’hébergement, nous les aidons à renforcer leurs capacités socio-économiques, complète Davit Avanesyan. L’aide prend de multiples formes qui vont du don de vêtements, médicaments, aliments adaptés à l’âge des enfants à un accompagnement psychologique et juridique en passant par des formations professionnelles, etc.”.

 

La France : la grande sœur

Grâce au soutien de ses donateurs, SOS Villages d’Enfants France est, depuis 2012, particulièrement impliquée dans l’activité et le financement de l’association arménienne. C’est ainsi la France qui avait financé la création du village d’enfants SOS d’Idjevan, elle encore qui a mené, avec ses collègues arméniens, la réflexion sur la transformation du site de Kotayk et financé les nouveaux aménagements. Enfin, des donateurs français parrainent les villages d’enfants SOS d’Idjevan et de Kotayk. 70 % du fonctionnement (soit 2 millions d’euros annuels) de SOS Villages d’Enfants Arménie reposent sur le soutien français, ce qui fait d’elle la 4e association étrangère la plus soutenue par la France.

 

“La convention des droits de l’enfant est universelle, rappelle Matthieu de Bénazé. Qu’il soit né à Paris ou à Erevan, un enfant a les mêmes droits. Bien entendu, les débiteurs d’obligations sont, en premier lieu, les États. Mais lorsque ceux-ci ne sont pas aptes à répondre à ses besoins fondamentaux, les ONG comme la nôtre ont le devoir moral d’agir”.

 

Tout devient surmontable

L’organisation des villages d’enfants SOS arméniens est similaire à ce qui se fait en France à la différence du rythme de travail des mères SOS. “Celles-ci travaillent 6 jours par semaine et sont relayées par la tante SOS, l’équivalent de l’aide familiale en France, précise Davit Avanesyan. Chaque mère SOS bénéficie de 30 jours de congés annuels. Une partie de ceux-ci sont pris pendant les vacances scolaires. Les enfants partent alors en camp de vacances accompagnés des aides familiales”.

 

Comme en France, les mères SOS bénéficient de formations continues, internes et externes, individuelles et collectives grâce auxquelles elles développent leurs compétences professionnelles.

 

“Les motivations de ces femmes sont aussi diverses que leurs histoires de vie, remarque le directeur des programmes arméniens, mais devenir mère SOS est toujours un engagement plus qu’un travail”.

Liana est salariée du village d’enfants SOS de Kotayk depuis 28 ans. Elle a débuté comme tante SOS, un poste qu’elle a occupé pendant 16 ans. “Aujourd’hui, la charge de travail des tantes SOS est moins colossale qu’à mes débuts, assure-t-elle. D’ailleurs mes amis s’étonnaient de mon choix et me demandaient si j’avais vraiment besoin de ce travail ! Mais je ne pouvais pas imaginer ma vie autrement, cela donne du sens à ma vie. Mes parents sont éducateurs, c’est peut-être dans mes gènes ! Chaque enfant a sa propre personnalité, vit ses propres expériences, connaît des difficultés et des joies qui lui sont propres… Ils absorbent mon humeur comme des éponges, ce n’est pas toujours facile. Mais quand on les aime, tout devient surmontable”.

 

village d'enfants sos Kotayk

À proximité des deux villages d’enfants SOS, quelques fratries sont accueillies par des “parents SOS”. “Il s’agit là d’une nouvelle forme d’accompagnement que nous expérimentons, souligne Davit Avanesyan. Les enfants sont accompagnés non pas par une mère SOS mais par un couple dont les enfants vivent souvent également dans la maison”. Les enfants bénéficient aussi du soutien d’éducateurs spécialisés, d’une équipe administrative, de psychologues ou encore de travailleurs sociaux. De nombreuses activités sont organisées pour favoriser leur développement, en particulier des ateliers culturels (musique, danse, artisanat…), les activités sportives étant moins développées qu’en France. “La grande majorité des enfants accueillis dans les villages arméniens ont encore un parent voire deux, détaille le directeur.

 

Seuls 7 % sont orphelins. Parmi les autres enfants, 7 % ont été abandonnés et 10 % étaient auparavant dans une autre structure de placement. Dans 75 % des cas, leurs parents (ou tuteurs) ont été reconnus inaptes à les éduquer”. Une classification large qui va de la malveillance à l’inaptitude médicale. La pauvreté est un facteur aggravant mais jamais suffisant pour l’accueil d’une fratrie en village d’enfants SOS. “Nous avons de bonnes relations de coopération avec les représentants de l’État, ajoute Davit Avanesyan. Lorsque nous estimons qu’une décision de placement n’est pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant, nous intervenons pour trouver d’autres formes d’interventions. On sait que la séparation accroît presque toujours la vulnérabilité des enfants”.

 

En moyenne, ces derniers sont accueillis pendant 4 ans dans leur village d’enfants SOS. À l’adolescence, certains peuvent choisir de rejoindre l’un des hébergements destinés aux jeunes, et situés à Erevan, qui proposent 48 places. “Plusieurs font ce choix dans le but d’intégrer des écoles de la capitale, mais tous ne sont pas aptes, si jeunes, à ce début d’indépendance, poursuit Davit Avanesyan. Les autres restent dans leur “famille SOS” jusqu’à leurs 18 ans. Plus tard, tous intègrent notre programme de “vie semi-indépendante”. Ils vivent hors du village d’enfants SOS mais nos équipes continuent à les épauler jusqu’à ce qu’ils terminent leurs formations, décrochent un emploi ou montent leur entreprise”.

Un océan de besoins

L’implication des équipes de SOS Villages d’Enfants Arménie est exemplaire mais n’est qu’une goutte d’eau dans un océan de besoins. “Selon l’ambassade de France, explique le directeur des programmes internationaux à Paris, sur les 30 000 enfants qui naissent chaque année en Arménie, un tiers est confronté à un ou des “risques”, un terme qui englobe aussi bien la maltraitance que l’exploitation par le travail, le trafic d’enfants”. Pendant longtemps, l’action de l’État en matière de protection de l’enfance a consisté à copier le modèle soviétique, autrement dit à créer d’immenses établissements pouvant accueillir des centaines, voire des milliers d’enfants maltraités, abandonnés, orphelins ou porteurs de handicaps…

 

Le gouvernement arrivé au pouvoir grâce à la rue en 2018 (voir encadré) se montre soucieux de renforcer les actions sociales et notamment celles en direction des enfants. Une loi reconnaissant et qualifiant les violences aux femmes et aux enfants a ainsi vu le jour il y a deux ans. Un pas important dans un pays où culturellement, la notion de maltraitance est bien différente de la nôtre et, disons-le, plus tolérante notamment en matière de brimades ou de travail des mineurs. Et, là aussi, SOS Villages d’Enfants se fait l’avocat de leur cause. À porter aussi au crédit du nouveau gouvernement, la fermeture des “orphelinats usines”, ces établissements très précaires et déshumanisés d’un autre âge. En 2001, 12 700 enfants y étaient placés contre 3 700 en 2019 ! Des enfants qui sont retournés dans leur famille (ou famille élargie), chez des tiers de confiance, ont rejoint des familles d’accueil ou encore des structures plus petites ou plus adaptées à leurs situations (enfants concernés par des troubles psychiatriques ou des handicaps).

 

“C’est un mieux sans doute mais le gouvernement va tellement vite pour fermer les foyers que les solutions de substitution ne sont pas toujours les plus judicieuses, nuance Matthieu de Bénazé. Nos équipes arméniennes espèrent donc accompagner cette stratégie de désinstitutionnalisation en proposant d’effectuer une analyse de la situation de chaque enfant sortant de ces institutions pour l’accompagner vers la meilleure des solutions pour lui”.

Par ailleurs, SOS Villages d’Enfants Arménie envisage aussi de participer à la requalification et à la formation d’une partie des professionnels travaillant actuellement dans les institutions publiques d’hébergement.

Nous réussirons

La petite Mariam qui avait si peur du regard de ses camarades de classe a vite pris ses marques dans le village d’enfants SOS de Kotayk et s’est attachée à sa mère SOS. C’est après avoir quitté le village d’enfants SOS pour rejoindre le centre d’accueil des jeunes à Erevan qu’elle a connu une période plus difficile. La jeune femme n’avait alors pas de projets pour ses études ni l’envie de chercher un travail. Une idée pourtant lui trottait dans la tête, celle d’avoir sa propre entreprise.

 

“Tu ne te verrais pas Chef cuistot ?”, lui demanda un jour Narine, l’une de ses amies.

 

“Pourquoi pas…”, répondit la jeune femme dont l’intérêt était piqué.

 

Il n’en fallait pas plus. Mariam suivit quelques cours de cuisine avant de trouver un poste d’assistante dans un restaurant chinois. Elle fit si bien ses preuves que lorsque la gérante de l’établissement ouvrit un second restaurant, elle mit Mariam à sa tête.

 

“J’y ai travaillé 5 ans, raconte la jeune chef. Mais aujourd’hui j’ai mon propre restaurant, chinois lui aussi. J’ai pu l’ouvrir grâce au soutien financier de SOS Villages d’Enfants. Mon frère et mes sœurs y sont serveurs. Nous n’avons ouvert qu’il y a un mois, mais nous avons déjà des clients fidèles. Il y a encore beaucoup à faire, dit Mariam, je n’ai même pas encore ma tenue de chef cuisinière mais ensemble, nous réussirons !”

 

Un credo à l’image de la coopération exemplaire des équipes françaises et arméniennes de SOS Villages d’Enfants.

L’Arménie en bref

L’Arménie est une ancienne république soviétique située dans la région montagneuse du Caucase, entre l’Asie et l’Europe. Indépendant depuis 1991, le pays reste isolé, 4 de ses frontières sont d’ailleurs fermées, dont la plus importante avec la Turquie, pays avec lequel il est en conflit. L’Arménie ne compte que 3 millions d’habitants mais une diaspora importante estimée à 12 millions de personnes.

 

 

Celles-ci jouent un rôle majeur dans la vie économique d’un pays où, selon les données du Comité statistique du pays, 23,5% de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté en 2018. Une “révolution de velours” a conduit Nikol Pachinian au pouvoir en mai 2018. Son gouvernement apparaît à beaucoup d’observateurs étrangers et arméniens comme porteur d’espoirs tant sur le plan politique qu’économique. Nikol Pachinian affiche la volonté de rompre avec les pratiques de corruption d’autrefois et qui expliquent, en partie, la pauvreté du pays et ses inégalités sociales marquées.

 

Focus sur le Programme de Renforcement de la Famille

Le Programme de Renforcement de la Famille (PRF) est un élément majeur de l’action de SOS Villages d’Enfants dans ce pays. Les PRF sont mis en œuvre à Erevan, la capitale d’un million d’habitants, dans les provinces de Tavush et de Kotayk. Ils sont destinés aux familles en grande difficulté socio-économique qui ne parviennent pas à assurer les besoins fondamentaux de leurs enfants. Très faibles revenus, absence de toit, maladies chroniques, comportement parental déviant voire délaissement… autant de situations qui caractérisent beaucoup des familles bénéficiaires. Le PRF s’adresse aussi aux parents dont les enfants sont accueillis par SOS Villages d’Enfants Arménie afin de les aider à reprendre pied. Depuis 2013, 156 “réintégrations familiales” (110 à Idjevan et 46 enfants à Kotayk) ont été réalisées.

 

Cet accompagnement vise à améliorer les compétences parentales par du conseil éducatif et du soutien psychologique. Il aide aussi les parents à augmenter leurs ressources (formations, accès à l’emploi, aide au démarrage d’affaires…) et à obtenir les allocations auxquelles ils ont droit. Prévu pour durer un an, ce soutien peut se prolonger trois années. Près de 3 000 enfants ont déjà pu être, par ce biais, aidés par les équipes de SOS Villages d’Enfants Arménie.

Dans 3 mois, Marion ne pourra
plus payer son loyer

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